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Grand, — le seul Français d’entre eux, — était, tout ensemble, professeur de clavecin et organiste de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, où plus d’une fois, sans doute, il aura laissé son petit ami improviser, à sa place, sur le bel orgue de l’église, un des plus grands de Paris, et des plus ornés. Après avoir publié naguère, dans un des recueils de l’éditeur Vénier, une sonate en un morceau, à la vieille manière italienne et française, Le Grand s’était converti au style nouveau d’Emmanuel Bach ; c’est, en effet, dans ce style qu’il avait composé un « premier livre » de six sonates, qui venait de paraître, au mois d’avril 1763, « chez l’auteur, rue Saint-Honoré, vis-à-vis la rue Neuve du Luxembourg, » — et qui ne semble pas, d’ailleurs, avoir jamais été suivi d’un « second. »

Eckard, lui (dont nous avons vu que Mozart connaissait les sonates dès avant sa venue en France), était décidément le brave homme que révélait sa musique. Né à Augsbourg en 1734, il était arrivé à Paris, en 1758, avec son compatriote Stein, qui allait bientôt devenir l’un des fabricans de piano-forte les plus fameux de l’Europe. Et comme il était très pauvre, et que, probablement, il craignait d’user son talent musical en donnant des leçons, il avait imaginé de chercher son gagne-pain dans la peinture, qui avait été jadis, à Augsbourg, son premier métier. Réservant à la composition ses soirées et ses nuits, il employait ses journées à peindre en miniature, sur des couvercles de boîtes, toute sorte de petites paysanneries flamandes, copiées ou imitées de Téniers et d’Ostade. Ainsi il avait pu recueillir assez d’argent pour faire graver, à ses frais, son cahier de sonates ; et celui-ci lui avait valu la faveur de Grimm, qui, depuis lors, n’allait plus cesser de célébrer son « génie. » Hélas ! Grimm lui-même était forcé d’ajouter que « tout le monde n’était pas digne de sentir le prix de ses compositions. » Si bien que, soit que le malheureux Eckard ait désespéré de vaincre jamais l’inintelligence musicale du public français, ou peut-être que son « génie » se soit prématurément fatigué, malgré les précautions qu’il prenait pour l’entretenir, peu s’en faut que le « premier » livre de ses sonates, tout comme celui des sonates de Le Grand, n’ait été aussi le « dernier : » une série de Variations sur le Menuet d’Exaudet, et un nouveau recueil de deux petites sonates, — variations et sonates publiées en 1764, — je ne vois pas qu’il ait rien produit d’autre, durant les quarante-six ans qui