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fils, chez Carmontelle, avec le même visage peint de face, à Londres, un an après, par l’Allemand Zoffany : c’est comme si l’enfant, son morceau joué, avait sauté de sa chaise et se retournait vers nous. Oui certes, voilà le premier portrait que nous ayons de Mozart ! Déjà le tableau de Salzbourg nous avait révélé la tête trop grosse sur un corps trop menu : mais ici seulement nous comprenons comment cette disproportion n’a pas empêché Wolfgang, pendant toute son enfance, de plaire, par sa figure même, à ceux que ravissait son génie musical.

C’est précisément par sa figure qu’il a plu, je le jurerais, à son portraitiste parisien. Accoutumé à étudier les visages avec sa double curiosité de peintre et d’auteur comique, Carmontelle n’aura point manqué de découvrir, sous la laideur apparente de ce visage-là, une pure et profonde beauté intérieure : car le fait est que toute l’âme de Mozart se manifeste à nous, déjà, dans l’adorable portrait qu’il nous en a laissé. Entre les deux personnes, bien solides, du père et de la sœur, l’enfant, à son clavecin, nous apparaît comme un exemplaire d’une humanité différente, plus fine, plus « spirituelle, » et presque dégagée de l’entrave du corps. Nous sentons qu’une flamme le brûle tout entier, celle-là même qui plus tard, à trente-six ans, en pleine santé, achèvera de le consumer. Mais, à présent, elle scintille et crépite joyeusement en lui ; elle le soulève sur la haute chaise où on l’a perché, elle fait flotter les basques de son bel habit bleu, elle agite ses petits pieds, que nous voyons frémir sous les boucles d’argent ; elle donne une grâce exquise au mouvement de ses mains, qui volent, croirait-on, au-dessus des claviers ; et de quel étonnant sourire elle illumine ses traits ! Un sourire non plus seulement de plaisir enfantin, comme dans le tableau de Salzbourg, mais de rêve, d’extase : le sourire d’un enfant qui entendrait la musique des anges, dans le paradis.


Ce lumineux génie que Carmontelle a su deviner dans les yeux rayonnans du petit garçon, je me plais à supposer qu’il fut deviné aussi par les musiciens que les Mozart ont eu l’occasion de rencontrer, pendant ces premières semaines de leur séjour à Paris, et notamment par trois des clavecinistes parisiens les plus goûtés d’alors, Le Grand, Eckard, et Schobert, dont Léopold nous apprend qu’ils sont venus à l’Hôtel de Beauvais et « ont fait hommage aux enfans de toutes leurs sonates gravées. » Le