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ou sur les deux livres les plus en vogue de ce mois-là, les Considérations sur les corps organisés et le Caleçon des Coquettes du jour ; le fils, à l’autre coin du salon, accompagnait des romances en variant l’accompagnement à chaque couplet, ou bien jouait des menuets sur un clavier couvert. Finis pour lui, désormais, les loisirs charmans de la première semaine, avec leurs promenades et leur libre travail ! Le 30 novembre, peut-être à la demande de Grimm, il avait encore écrit un menuet (en ré majeur), évidemment improvisé, mais déjà d’allure plus chantante, plus française, que les précédens : durant tout le mois de décembre, je ne crois pas qu’il ait écrit une seule note.

Présenté par son protecteur dans le monde des financiers et des philosophes, il a dû l’être aussi, dès ce moment, au Palais-Royal. Nous ne voyons pas, toutefois, qu’il ait pénétré jusqu’au duc d’Orléans, dont le nom n’est jamais mentionné dans les lettres de Léopold Mozart ; mais nous savons, par ces lettres, que le duc de Chartres a daigné s’intéresser beaucoup aux deux petits musiciens. Le futur Philippe-Egalité était alors un charmant garçon de seize ans, à figure de fille, et rempli de l’admiration la plus respectueuse pour la science universelle du bon M. Grimm. Sa sœur, Mademoiselle, une enfant de treize ans, montrait déjà le goût le plus vif pour la musique : nul doute qu’elle ait, dès lors, pris plaisir à écouter l’enfant prodige à qui elle allait dédier, deux ans après, un innocent rondeau de sa composition. Tout le monde, d’ailleurs, dans la maison du duc d’Orléans, se flattait d’aimer et de protéger la musique, depuis le galant chevalier de Clermont d’Amboise, chambellan du duc, jusqu’au maître d’hôtel Augeard et au suisse Bélier. Mais, de toutes les connaissances faites par les Mozart au Palais-Royal, aucune n’a dû leur être plus agréable, et aucune certainement n’a eu pour nous des suites plus précieuses, que celle qu’ils ont faite, toujours par l’entremise de leur ami Grimm, du « lecteur » du duc de Chartres, M. de Carmontelle.

C’était un grand et bel homme de quarante-six ans, très simple, sous l’élégance parfaite de sa mise, et dont l’honnête visage n’était pas sans rappeler ; un peu celui de Léopold Mozart. Parti de très bas, — son père était maître cordonnier, et s’appelait, bourgeoisement, Carogis, — il s’était élevé, de proche en proche, par ses seuls talens, qui étaient au reste d’une variété et d’un agrément infinis. Personne ne savait mieux que lui