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trop d’exagération, que ses œuvres inachevées étaient ses chefs-d’œuvre. Et je ne serais pas étonné que, à la date de son arrivée à Paris, une certaine influence, en particulier, — celle du compositeur parisien Jean Godefroy Eckard, — eût pris sur lui assez d’empire pour effacer, momentanément, de son cerveau la légère empreinte italienne qui se révèle à nous dans sa sonate en ut majeur, et dans ce bel andante resté incomplet.


Le Mercure de France du mois de mai 1763 annonçait la publication, à Paris, de « Six sonates pour le clavecin, composées par J. G. Eckard, op. 1, en vente chez l’auteur, rue Saint-Honoré, près celle des Frondeurs, dans la maison de M. Lenoir, notaire. » Cet Eckard, bien qu’il habitât Paris depuis plusieurs années, était, en réalité, un Allemand d’Augsbourg, compatriote de Léopold Mozart : et celui-ci avait sûrement entendu parler de lui, durant le séjour qu’il venait de faire dans sa ville natale. Etait-ce lui, Léopold, qui, à Bruxelles, avait acheté pour son fils le recueil nouveau des sonates d’Eckard, ou bien l’enfant les avait-il reçues en cadeau de quelque généreux amateur bruxellois ? Toujours est-il qu’il devait les connaître déjà lorsqu’il avait écrit sa première sonate : il y a, en effet, dans l’allegro initial de cette sonate, une cadence de deux mesures qui est directement empruntée au finale de la première sonate d’Eckard, en si bémol. Et pourtant il est sûr que ni l’ensemble de cette sonate en ut majeur ; ni l’adorable andante inachevé qui l’a suivie, ne se ressentent encore d’une étude approfondie de la manière d’Eckard. Mais j’imagine que, bientôt, à force de jouer le recueil de celui-ci, à force de l’entendre vanter, autour de lui, comme le modèle parfait de ce que demandait ce goût parisien qu’il allait avoir lui-même à satisfaire désormais, il aura commencé, peu à peu, à s’assimiler le style et les procédés du compositeur augsbourgeois, au point de ne pouvoir plus s’empêcher de les imiter : car le fait est que ce style et ces procédés se retrouvent, et cette fois avec une évidence absolue, dans la sonate en si bémol, écrite par lui, à Paris, le 21 novembre.

On peut voir à la Bibliothèque Nationale le recueil des six sonates de Jean Godefroy Eckard, dédiées au violoniste Gaviniès, et précédées de l’avertissement que voici :

J’ai tâché de rendre cet ouvrage d’une utilité commune au clavecin, au