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profond des ressources les plus cachées de son art ! Car l’élan passionné de son inspiration lui a révélé tout à coup la misère de cet emploi mécanique de la basse d’Alberti qui, de plus en plus, rabaissait et enlaidissait la musique de piano de l’école nouvelle. Nulle trace de ce procédé, dans l’andante bruxellois, mais au contraire une harmonie qui change de note en note, d’après les nuances diverses de l’émotion à traduire : procédant, dès le début, par modulations chromatiques, pour aboutir enfin à une suite d’accords mineurs, admirables de hardiesse et de forte beauté. Et il n’y a pas jusqu’au contrepoint qui, durant tout un long passage, ne vienne accroître l’effet de la progression harmonique : un contrepoint très simple, mais déjà « expressif » et profondément « mozartien, » prêtant pour ainsi dire à la plainte une seconde voix, avant que toute la douleur se concentre dans les accords sanglotans de la ligne finale. Tel est, en résumé, ce morceau singulier, qui certes ne ressemble ni à la manière d’Emmanuel Bach ni à celle d’aucun des honnêtes collaborateurs des Œuvres mêlées, à rien autre qu’à la divine musique que, plus tard, — bientôt, — nous fera entendre Mozart lui-même : à moins que l’on ne veuille reconnaître, dans cet andante, un écho fugitif des rêves suscités au cœur de l’enfant, pendant sa promenade à travers l’Allemagne, par les chants magnifiques d’un Tartini ou d’un Nardini, et comme la première réponse de ce cœur de poète au charmant appel du génie italien.

Dans le cahier vénérable qui se trouve aujourd’hui, — hélas ! tout déchiqueté, — au Mozarteum de Salzbourg, ce fragment d’andante occupait, je l’ai dit déjà, la page intermédiaire entre le finale de la sonate en ut majeur, écrite à Bruxelles le 14 octobre 1763, et le début de la sonate en si bémol, commencée à Paris le 21 novembre. On peut donc supposer que le petit garçon l’aura ébauché à Bruxelles, aussitôt après sa première sonate, dans le loisir que lui laissait l’attente de sa présentation à l’archiduc Charles : puis seront venus le concert du 10 novembre, les préparatifs du voyage, et ce voyage lui-même ; et désormais l’enfant, avec son esprit toujours prompt à subir les impressions du dehors, ne se sera plus senti en humeur de continuer sa sonate dans la forme que, d’abord, il avait voulu lui donner. Pareille aventure devait lui arriver cent fois, au cours de sa vie, le forçant à interrompre des morceaux qui souvent promettaient une beauté supérieure : au point même qu’on a pu dire, sans