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cœur, à peine moins ingénu, de Léopold Mozart. Oui certes, au point de vue de la « noblesse » comme à celui de l’économie, le maître de chapelle salzbourgeois pouvait s’enorgueillir de « l’avantage » que lui avait valu la recommandation du comte Arco, premier chambellan de la cour de Salzbourg, et père de la comtesse Félicité d’Eyck.

Il convient pourtant de noter que, dans ses lettres suivantes, Léopold Mozart ne parle plus jamais du palais qu’il habite, ni du personnage éminent qui l’y a reçu. Et le fait est qu’il n’aurait eu rien de bon à dire, sans doute, de l’un ni de l’autre. Tout au plus pouvons-nous supposer que les impressions qu’il en a eues n’ont pas été étrangères aux doléances souvent exprimées par lui, dans ces lettres, sur la dépravation des mœurs parisiennes. Car d’abord la maison, avec toute la majesté de sa façade et toute son apparence de demeure princière, commençait des lors à être un tripot, et l’un des plus courus de Paris et des plus mal famés. Le comte d’Eyck était, en effet, un de ces ambassadeurs qui, pour épargner aux jeux de hasard les vexations dont les menaçait la police en territoire français, leur avaient généreusement offert le territoire étranger qu’étaient leurs ambassades. Il avait affermé à des « banquiers » le rez-de-chaussée et une partie du premier étage, qui s’étaient vus ainsi transformés, le rez-de-chaussée en un « brelan » populaire, le premier étage en une élégante « académie de jeu. » Tous les soirs et jusqu’à l’aube suivante, il y avait « grand concours de carrosses et de chaises » devant la maison, tandis que les salons retentissaient du bruit des pièces d’or et des clameurs passionnées des « pontes, » rythmant les rapides péripéties du pharaon et de la bassette. C’est là que se réunissait de préférence, désormais, le personnel cosmopolite fréquenté naguère par le chevalier des Grieux à l’Hôtel de Transylvanie, les virtuoses du « filage de cartes » et de la « volte-face ; » et bientôt Paris n’allait pas avoir d’endroit où l’on se ruinât plus volontiers qu’à l’ambassade de Bavière. Mais l’hospitalier ambassadeur, lui, s’y enrichissait si heureusement que, quelques années plus tard, le 15 avril 1769, il allait être en état d’acheter l’hôtel, « meubles et peintures compris, » pour une somme approchant de deux cent mille livres.

Jamais, au reste, cet habile homme ne paraît s’être trop embarrassé de scrupules moraux. Agé d’une cinquantaine d’années au temps du voyage des Mozart, il était d’origine flamande,