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avait su le mieux unir à de brillans rappels de la Renaissance italienne la noble et forte grandeur du nouvel art français. Aujourd’hui encore sa façade (68, rue François-Miron), misérablement mutilée, — dépouillée de ses entablemens et de ses sculptures, ne gardant plus que des restes informes du fameux balcon d’où, jadis, Anne d’Autriche et Marie-Thérèse ont maintes fois assisté aux sorties triomphales du jeune Louis XIV, — nous étonne, au passage, comme la ruine de quelque Louvre égaré parmi l’honnête médiocrité bourgeoise des maisons voisines. Et notre surprise se change en un vrai ravissement lorsque, pénétrant sous le porche, nous découvrons la perspective élégante de la petite cour, avec le svelte péristyle circulaire dont elle est précédée, et surtout, à gauche de l’entrée, un admirable escalier d’honneur que des hasards miraculeux nous ont conservé presque intact, depuis sa rampe de pierre finement ajourée jusqu’aux mascarons, aux putti, et aux armoiries du plafond, chefs-d’œuvre du bon maître flamand Van den Bogaert[1].

A l’intérieur de la maison, par contre, rien ne subsiste plus qui puisse nous permettre de nous représenter ce qu’était l’ambassade de Bavière, au moment où les Mozart y sont venus loger. Un inventaire de 1769 nous apprend seulement que le premier étage comprenait deux grands salons, dont un « de musique, » une bibliothèque, deux chambres à coucher avec « garde-robe à l’anglaise, » et qu’il y avait au second étage, sur la rue Saint-Antoine, « six pièces à glaces. » Est-ce dans une de ces six pièces que le comte d’Eyck a installé ses hôtes ? Ou bien ne serait-ce pas plutôt dans une « petite chambre » du premier étage, qui se trouvait isolée du reste des appartemens, à gauche vers le fond de la cour, avec un escalier pour elle seule ? Cette petite chambre donnait accès sur une terrasse communiquant elle-même, par une galerie, avec un « jardin suspendu » qui avait, à deux de ses coins, « une « grotte » et une « volière : » et j’imagine en tout cas que cette grotte, cette volière, et tout ce jardin en terrasse ont dû amuser infiniment le petit Wolfgang, cependant que le luxe princier de la maison remplissait d’aise le

  1. L’Hôtel de Beauvais avait été construit, de 1655 à 1660, sur les plans de Lepautre : mais, dès 1706, le financier Orry avait commencé à en gâter la façade, sous prétexte de l’accommoder au goût nouveau de son temps. On trouvera, du reste, une foule de détails curieux sur cette maison dans une étude du savant Jules Cousin, publiée, en 1865, à la Revue universelle des Arts.