Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saint se posa, compatissant et doux, sur cette enivrée de la vie. Il continua sans paraître l’entendre :

— Lui, le Christ bien-aimé, se penche sur nos épines. Il prend dans ses mains l’âme qui crie vers lui, de détresse ou de remords. Il lui dit des paroles inconnues. Il l’emporte dans la nuit malgré sa plainte, car souvent, elle ne le reconnaît pas. Elle veut s’enfuir de ses mains, quoiqu’il se soit lassé en la cherchant, quoique ses pieds et son front et son cœur soient blessés pour elle.

— Et où l’emporte-t-il ? demanda-t-elle encore.

— Vers la Vie, dit le saint.

Les yeux sombres d’Ahès s’éclairèrent. Il lui sembla que, si elle avait été seule, elle aurait confié au bon saint son grand amour son grand espoir de vivre heureuse, pour que le Christ béni tournât son regard vers elle. Mais non. L’empreinte de la race était trop forte. Elle n’aurait pas su dévoiler le mystère de son cœur ainsi, en une fois, et devant les autres. Du reste, elle devait le revoir à Ker Is…

Et ce fut seulement bien des heures après, au moment de partir, qu’elle lui dit tout bas, continuant la conversation du matin :

— Je voudrais qu’il se penchât vers moi à l’heure où je mourrai…

— Il le fera, dit gravement le saint.

Mais son sourire devint très triste ; et lorsque Gradlon et Ahès se retournèrent, loin déjà, ils le virent encore regardant vers eux, priant sans doute, comme Celui qui passe, invisible et lassé, sur nos chemins…


M. REYNES MONLAUR.