Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maître lui obéissent. Les agneaux, paisibles, s’étaient recouchés. Le pâtre avait cessé ses cris. Il baisait avec ferveur la main que le cher saint lui avait tendue. Le pauvre petit n’avait plus ni angoisse ni inquiétude. Il allait et venait, près de son grand ami, d’un air d’importance, frôlant les bêtes avec une vanité enfantine. Et peu à peu, tandis que Gwennolé continuait sa garde vigilante, l’enfant ralentissait le pas ; ses yeux se fermaient. Gwennolé le roula dans son manteau ; pensif, il s’assit près de lui, parlant à un Être invisible d’une autre bergerie et d’un autre pasteur ; et l’enfant s’endormit sous sa garde, tenant toujours entre ses mains les mains du saint bien-aimé…

Ahès ne pouvait pas distinguer les traits de Gwennolé. Mais une paix délicieuse la retenait à ses pieds. Elle ne se demandait pas comment le saint était venu, tant elle vivait dans une atmosphère de songe. Son âme bercée de chants et de légendes, fille de la race la plus rêveuse qui fut jamais, remplaçait seulement les fées par les anges, et les dieux inconnus et hostiles par des saints bienfaisans et sourians. La question pour elle n’était donc point : « Comment est-il venu ? » Mais : « Pourquoi est-il là ? » Et rien dans sa vie passée, rien dans ses vieilles histoires, ne lui donnait une réponse…

Est-ce que les larmes d’un pauvre valaient un miracle ? Est-ce que le Maître invisible venait ou envoyait ses serviteurs à chaque appel ? Gradlon disait souvent que les hommes de la religion nouvelle ne s’occupaient pas de la terre, qu’ils ne parlaient que du ciel. Et cependant, avant Gwennolé, qui avait-elle jamais surpris veillant sur le sommeil d’un misérable enfant ? Qui aurait gardé ainsi, fidèlement, les petites mains confiantes, toute une longue nuit ? Est-ce donc que, ne songeant qu’à l’autre monde, les saints donnaient leur cœur pour faire fleurir dans celui-ci la bonté, la compassion, la pitié ?

Elle pensa : « Je le dirai à Rhuys, pour qu’il se fasse chrétien, pour qu’il les aime… » Et jusqu’à ce qu’elle fermât les yeux, elle regarda l’enfant et le cher saint, et les loups enchaînés près des brebis paisibles qu’ils atteignaient de leur haleine, songeant qu’il y avait peut-être encore, dans la vie, une autre douceur qu’aimer et qu’être aimé…

Et ainsi la nuit avait passé, lente et douce. Au matin, les loups avaient fui, le saint avait disparu ; Ahès et les siens s’étaient remis en marche, escortés par le petit troupeau : le pâtre allait