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VII

Ahès et sa suite, par d’étroits sentiers de mousse, rejoignirent bientôt les chevaux et reprirent avec eux la route de Landévenec. Bien qu’ils fussent séparés des chasseurs les plus intrépides, et que, dans cette direction, les sangliers devinssent rares, tout l’intérêt et tout le danger de la chasse n’étaient pas écartés. Les loups abondaient dans ces parages. Les flèches d’Ahès et les couteaux de ses hommes d’armes en abattirent plusieurs. Le plus grand nombre fuyait, hors d’atteinte, en bandes furieuses.

La nuit, maintenant, était proche. Il fallait bivouaquer en un endroit sûr. Ahès choisit une éminence où la forêt semblait s’arrêter pour ne reprendre que très loin, au bord de l’horizon, en ligne sombre. On approchait de la presqu’île de Crozon. La lande déserte s’étendait à perte de vue, stérile et désolée. Il avait neigé dans la journée ; on s’en apercevait à peine sous l’épaisse voûte des arbres ; mais là, à découvert, les longues ondulations blanches étaient coupées seulement par des arêtes de granit, des fantômes étranges dans la nuit. C’étaient des pierres en forme d’autel, qui recouvraient, disait-on, des guerriers fameux ; et des monolithes énormes, restes inquiétans d’on ne savait quel culte, posés là, dans le recul des siècles, par les mains des Celtes morts. La lune jetait sa clarté froide sur le linceul de neige, et les tombes, et les autels géans ; et au loin, le murmure éternel de la mer ajoutait encore à la mélancolie des choses qui demeurent, quand les hommes et les dieux, et jusqu’au nom des hommes et des dieux, ont disparu.

Tout était immobile. Seulement à quelque distance, un troupeau se blottissait, serré contre le froid, devant un pauvre feu de tourbe, et le pâtre trompait l’ennui des heures en jouant d’une sorte de biniou rustique.

Bientôt le troupeau et le pâtre attirèrent l’attention d’Ahès. Elle ne pouvait dormir. Dédaigneuse de tout danger, elle avança pour entendre de plus près le chant primitif. Il y avait trois ou quatre notes qui revenaient toujours et ne finissaient pas, laissant en suspens le rythme et le rêve. Le rêve d’Ahès suivait ce chant. Elle était lasse de ces rudes journées d’exercice et de vie au grand air ; mais cette lassitude était saine. Elle se sentait plus maîtresse d’elle-même, plus forte aussi, et plus sûre dans sa