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Elles revivaient en lui par le sang et par le rêve, les deux forces de sa race ; elles se mêlaient à son amour passionné pour son enfant.

— Un seul, poursuivit le prêtre. Vie contre vie. Tu choisiras.

— Rhuys ! s’écria Gradlon au bout d’un instant. Il est à moi. Je l’ai gardé en otage. Je te l’enverrai, tu le tueras ici.

— Non, dit résolument le druide. Non, là-bas, dans une réparation aux dieux que tu as reniés et auxquels tu reviens, malgré toi-même. Là-bas, sur cette digue que, dans sa fureur, Hésus a renversée trois fois.

— Comment sais-tu ? balbutia le roi interdit.

— Tu pourras bâtir sur son sang, continua le vieillard sans l’entendre. Ton peuple sera à l’abri des flots, et ta fille sera sauvée. Ce Rhuys est-il des nôtres ?

— Il est Celte.

— Alors il mourra bien, dit le druide avec orgueil. Il sait qu’il deviendra semblable aux dieux !

Une flamme sacrée brûlait dans les yeux pâles. Cet homme d’aspect doux était hors de lui-même :

— Que ce soit donc à la face du peuple, en plein jour, en pleine fête. Je suis le seul survivant du culte mort ; mais je m’endormirai à la fumée des holocaustes, et mes dieux quitteront leur vieille terre dans un dernier reflet de gloire !

— Va donc à Is, conclut Gradlon. Précède-moi. Prépare cet homme. Je te suivrai dans quelques jours Tu me réponds d’Ahès ? Tout est bien alors. Il vaut mieux qu’elle ne sache pas ; elle a déjà oublié que ces rêves portent malheur ! Nous ne parlerons ni de songe, ni de présage, ni de victime, à cause des chrétiens. Je me débarrasse d’un prisonnier sur lequel j’ai le droit de vie et de mort. Voilà tout.

— Es-tu donc esclave ? demanda fièrement le druide.

Et sans attendre la réponse, il s’enfonça dans les taillis répétant, comme une mélopée, la triade célèbre :

« J’ai vécu trois fois, je suis mort trois fois. J’ai été le lièvre timide. J’ai été le renard fertile en ruses. J’ai été le roi brave dans la guerre, lâche dans mes pensées. »