— Maître, dit Gradlon d’une voix changée, est-ce qu’ils t’apprenaient les choses que nous ne savons plus ?
— J’ai recueilli sur leurs lèvres les vingt mille vers qui renfermaient toute la science humaine. J’ai tout appris. J’ai tout oublié. Il y a en moi comme un vaste ossuaire, et mon âme me semble morte comme mes dieux.
Les prunelles déteintes par les années se fixèrent sur le roi, qui sentait grandir son effroi et son malaise :
— Apprends donc où le destin t’a conduit, poursuivit le druide. A mon tour, j’ai eu des disciples. Ils sont morts un à un. Je les ai enterrés à l’ombre de ces arbres. Cette terre est deux fois sacrée : c’est la tombe des miens, et c’est aussi la partie réservée de la forêt où s’offraient les sacrifices. Hésus a habité ces chênes, vieux de milliers d’années ; et peut-être que, pensif, il nous regarde encore.
— Maître, interrompit Gradlon qui tremblait, invoque-le pour moi, car il nous a vus. Ahès, ma fille unique, a senti passer sur elle, dans son sommeil, l’ombre redoutable ; et des druidesses l’entouraient, l’appelaient dans une ronde éperdue. Lis-tu comme tes pères dans les livres scellés ? parle alors. Que voulaient-elles ?
— Elles la voulaient, dit le druide à voix basse.
— Mais elles n’existent plus ! Elles sont mortes ! Et ce n’est qu’un rêve, s’écria Gradlon.
— Qui est plus proche de nous que les morts ne le sont ? continua le druide. Et quand les dieux nous parlent-ils, sinon dans le sommeil ?
— C’est donc un présage de mort ?
Les mots cruels sifflaient entre ses lèvres. Le vieillard inclina la tête.
— Mais on conjure ces présages, on les détourne. Tu sais, toi… Que faire ? Que veux-tu ? demande-moi tout !
— Que veut-on lorsque trois pieds de terre vous suffiront demain ? Que faire ? Les idées me fuient. Autrefois on donnait une vie pour en racheter une autre.
— Je donnerai la mienne, dit Gradlon haletant.
— Pourquoi ? dit froidement le druide. Un prisonnier, un criminel suffira.
— Tous ! prends-les tous !
Les vieilles superstitions avaient reconquis le roi tout entier.