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VI
Vous, célèbres par la connaissance des choses cachées, si, comme vos pères, vous lisez dans les ténèbres, vous, druides…
LUCAIN.

Le lendemain de grand matin, comme elle l’avait dit à Rhuys, Ahès partait avec son père et une suite nombreuse. Les chasses, en ce temps-là, étaient le divertissement favori de ces races fortes ; elles remplissaient le court intervalle des guerres, et il s’y mêlait assez d’imprévu, assez de danger pour que ce divertissement se changeât en une véritable passion.

L’Armorique, aux Ve et VIe siècles, était presque entièrement recouverte de bois ; et si les aurochs s’y faisaient rares, les loups, les renards, les sangliers et les ours y abondaient. On attaquait les sangliers à l’épieu, les loups et les renards au couteau, ou à coups de flèches. C’étaient des scènes de carnage, parfois des luttes corps à corps, périlleuses et cruelles. Les femmes modernes seraient hors d’état d’assister à ces tueries. Il y fallait plus d’énergie, plus de cruauté aussi et moins de nerfs. Mais les belles Gauloises ne reculaient pas pour si peu ; et, longtemps après Jésus-Christ, les historiens latins et grecs nous les montrent lançant de leurs bras blancs les lourds épieux, ou perçant à coups de flèches les daims et les cerfs.

Or la chasse de ces jours-là s’annonçait comme particulièrement émouvante. Gradlon avait résolu de délivrer son peuple des incursions meurtrières des sangliers. Il comptait s’enfoncer par la forêt de Porzoëd jusque dans les retraites les plus inaccessibles de la forêt centrale. Il désirait voir Ronan, son nouvel ami, et plus loin, à la naissance de la presqu’île de Crozon, cet étrange Gwennolé qui lui parlait comme un maître et devant lequel il se sentait soumis comme un enfant. Gradlon, encore tout ému du miracle de Ronan, songeait aux saints avec lesquels il voulait nouer une amitié étroite ; et sans parler, l’air préoccupé, il s’abandonnait à l’allure capricieuse de son cheval.

Ce silence convenait merveilleusement à Ahès. Son âme ébranlée, les jours précédens, par des impressions contradictoires, allant de l’extrême angoisse à l’extrême joie, appelait un repos absolu. Rien ne semblait mieux fait pour calmer sa fièvre