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Elle soupira. Instinctivement elle attendait autre chose. Elle pensa qu’elle mourrait de honte si, à sa question, il répondait…

Et brusquement :

— Est-ce qu’on croit aux présages dans ton pays ? dit-elle.

— Oui. On n’entreprend rien sans avoir observé les oiseaux, les nuages ou les plantes. Et puis nous avions autrefois des oracles célèbres. Il y avait à l’embouchure de la Loire un collège de prêtresses que l’on consultait dans tous les événemens graves. Mais ces prêtresses ont disparu depuis longtemps.

— C’est comme dans l’île de Sein, en face de la pointe du Raz. Ne sais-tu pas l’histoire de cette île ? demanda Ahès qui sentait que, décidément, ce jour-là encore, elle ne parlerait pas.

— Je sais bien peu d’histoires de ton pays, quoique nous soyons de la même race, répondit Rhuys avec un sourire.

— Voilà. C’est un roc désolé et sinistre ; j’y suis allée, seule, en barque, et j’ai eu peur. Quelque chose pleure dans ces roches. Autrefois il y avait sept druidesses. Elles devaient entretenir un feu sacré en l’honneur de Korridwen : c’était la Lune, je crois, qu’on nommait ainsi. Ces femmes avaient des mœurs étranges et farouches. Une fois par an elles devaient détruire et reconstruire leur temple. Malheur à celle qui laissait quelque pierre s’échapper de sa robe ! Ses compagnes déchiraient l’imprudente sans pitié ! On tuait encore, pour d’autres raisons…

— Quelles raisons ? interrogea Rhuys, qui suivait distraitement l’histoire et n’écoutait que la voix.

— Oh ! ce sont des souvenirs tragiques ! Ces druidesses ne se mariaient pas, et elles étaient les gardiennes du feu : en retour, la déesse leur conférait des dons particuliers. Elles se changeaient en oiseaux, en rayons de lune : elles lisaient dans l’avenir comme dans un livre. Elles t’auraient dit : « Ne combats pas contre Gradlon. »

— J’aurais combattu quand même, interrompit Rhuys. Est-ce que les soldats allaient les consulter ?

— Ils y allaient : et voilà où commencent les drames d’il y a bien longtemps. Un jour, un guerrier de Léon rencontra, en abordant, la plus jeune des druidesses, Arzel la Brune. Il lui demanda l’avenir… Elle était si belle qu’il aurait rêvé de demeurer auprès d’elle ; il était si fort et si doux qu’elle résolut de fuir avec lui. Sans se parler, ils se comprirent. Mais au moment