Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tempête demain, je parlerai. » Le lendemain était un jour de tempête, et elle se taisait.

Et ce soir, elle était trop lasse ; cette lutte la brisait. Elle avait été sur le point de tout avouer à son père en se jetant dans ses bras. Hélas ! elle ne l’avait pas osé !… Une mère aurait deviné, elle aurait compris ! Alors elle invoqua Kenvred la Belle, comme aux jours de son enfance. Elle chercha à se blottir dans les bras très tendres. Elle lui dit : « Mère, si vous m’envoyez une mouette ce soir, ce sera une messagère de joie, et je parlerai. »

La nuit était tout à fait venue. Malgré le froid, Ahès avait laissé les fenêtres grandes ouvertes sur le large. A l’imitation des villas romaines, de légers treillis, en s’écartant, donnaient beaucoup d’air et de jour. Anxieusement, elle regardait dans les ténèbres ; elle attendait. Il lui semblait que cette attente ne finissait pas. Enfin elle entendit des cris d’oiseaux, un froissement d’ailes. Une mouette entrait en tournoyant, s’abattait sur le sol. Ahès eut un cri de joie. Elle étendit la main pour la saisir et l’embrasser ; mais d’un brusque mouvement de recul, elle la rejeta. L’oiseau blessé, l’aile cassée et sanglante, agonisait :

— Toujours du sang ! dit-elle.

Puis elle releva la tête, comme pour braver la destinée :

— Qu’importe le sang ? Je saurai, demain…


Le lendemain Gradlon était encore à Quimper. Ahès avait quelques heures devant elle. D’ordinaire, c’était au milieu du jour qu’elle descendait vers les prisonniers. Elle faisait le tour des cachots avec les geôliers : elle finissait par Rhuys et s’attardait auprès de lui. Cette fois, elle irait à lui dès le matin. Elle sentait bien que, si elle attendait, sa grande résolution faiblirait, quelle n’oserait plus, qu’elle ne pourrait plus.

Au bruit léger de son pas, Rhuys détourna la tête avec une surprise joyeuse.

— Tu ne m’attendais pas ? Comment as-tu su que c’était moi ? le manda-t-elle.

— Comment je l’ai su ?

Il la regarda, ne comprenant pas. Est-ce qu’il savait autre chose qu’elle ? Mais tout de suite il reprit :

— On en vient à distinguer chaque bruit lorsque les journées sont si longues. Rien ne distrait.