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« Elle est éblouissante, la crête des montagnes pendant l’hiver ennemi du sommeil ; le roseau est fragile, l’oppression lourde ; les besoins amers dans l’exil.

« Elle est éblouissante, la cime du chêne ; amer est le bourgeon du frêne, rieur le flot ; la joue ne cache point le trouble du cœur.

« Elle est éblouissante, la tige du genêt fleuri ; le gué est peu profond ; il dort, l’homme heureux.

« Elle est éblouissante, la cime du cormier : les soucis sont avec le vieillard comme les abeilles dans la solitude ; violente est la tempête, fragile la broussaille.

« Il est éblouissant, le dôme du bosquet de coudrier. Voici les feuilles poussées aux chênes ; quiconque voit ce qu’il aime est heureux.

« Elle est éblouissante, la cime d’un saule frêle et tendre. Le coursier dans les longs jours est mou. Qui aime autrui ne le dédaigne pas.

« Elle est éblouissante, la tête de l’aubépine en fleurs. Le bois est la parure du sol. L’esprit rit à qui l’aime.

« Ils sont éblouissans les sillons et harmonieux les bois ; violemment le vent souffle parmi les arbres ; n’intercède pas pour l’endurci ; impatient est le chanteur solitaire[1] ! »

La prison du château était située au bas d’une tour. L’appartement d’Ahès occupait, dans une tour correspondante, les étages supérieurs. De sa chambre, elle dominait les soupiraux grillés des cachots. Elle ne voyait rien de plus, tant il pénétrait peu de jour et de lumière dans ces sous-sols. Mais souvent elle allait regarder de ces côtés, sans savoir, sans doute pour s’assurer que les gardes veillaient bien et qu’elle était à l’abri de tout danger.

Ici Ahès s’arrêta dans ses souvenirs pour sourire. Quelle crainte avait donc traversé son esprit ? Son père disait bien : « Rhuys était en sûreté. »

Hélas ! après avoir souri, Ahès soupira, et elle continua à tourner un à un les feuillets de son histoire…

Un jour, elle avait réfléchi qu’il était chrétien, qu’il était humain de chasser tout ressentiment contre des ennemis, si arrogans fussent-ils, et, au contraire, de s’assurer que les geôliers

  1. Livarc’h-hen les Splendeurs. Nous avons forcément abrégé.