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avait hâte d’être seul, d’échapper à cet enthousiasme. Mais il laissait courir autour de lui, avec un sourire, des groupes joyeux de petits enfans.

Le lendemain à la nuit, quand Gradlon reprit le chemin de Ker Is, il rencontra, marchant sur le bord du sentier, Ronan, l’homme vêtu de peaux de bêtes, qui priait en regardant les étoiles. Gradlon, pris d’une terreur superstitieuse, mit son cheval au pas. Un trouble inconnu l’agitait depuis la veille. Ce trouble redoublait à cette heure. Cet homme s’en allait seul, pieds nus, comme un mendiant. Il s’enfonçait dans la solitude quand le peuple aurait voulu le porter en triomphe ; il choisissait le silence, quand tous l’acclamaient. S’il était demeuré à Quimper, il eût été roi, bien plus que le roi lui-même. Pourquoi préférait-il sa misérable cellule dans les bois ? Quelle joie y avait-il donc en lui, plus forte que toute joie humaine ? L’âme orgueilleuse et troublée du monarque se perdait dans ces pensées : il se sentait, auprès de cet homme, misérable et petit. Et cependant, il avait une douceur inexplicable à mettre ses pas dans les pas du moine, comme si l’homme qui priait traçait sur sa route un sillon de paix.

A un détour du chemin, aux dernières lueurs du couchant, Gradlon regarda l’humble visage. Il rayonnait comme la veille à l’heure du miracle, peut-être avec une expression plus profonde d’anéantissement bienheureux ; comme si Ronan était écrasé sous la main bienfaisante et toute-puissante du Seigneur. Les ténèbres, malgré ce soir d’hiver, semblaient brûlantes. Ronan laissa le sentier à la lisière de la forêt et s’engagea sous les chênes. Gradlon arrêta son cheval jusqu’à ce qu’il l’eût vu disparaître… Alors le roi se sentit seul, et il eut froid.


IV
La femme apporte le sommeil à la douleur.
LIWARC’H-HEN.

Longtemps, accoudée à la fenêtre, Ahès avait suivi des yeux le roi qui s’éloignait ; et il fallut le froid piquant de novembre pour la rappeler à elle-même et l’obliger à rentrer. Elle avait un besoin absolu de silence et de solitude. Autour d’elle on