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bruit de tonnerre dans les grandes roches. La mer, la nuit, a une sorte d’épouvante spéciale. On dirait que cette sombre masse mouvante porte en elle toute l’horreur de l’invisible, d’un invisible conscient et hostile. Presque toujours, pour rendre la fête des âmes plus tragique, la tempête sur ces côtes se mêlait à la nuit. Les blanches crêtes d’écume dessinaient, aux éblouissemens des éclairs, la hauteur fantastique des lames qui rejaillissaient à plus de quatre-vingts pieds, et, dans leur remous, creusaient ces gouffres où les morts roulaient et hurlaient, éperdus.

Pourquoi les âmes qui hantaient ces rives traînaient-elles toujours l’orage à leur suite ? Que trouvaient-elles donc dans la survivance à laquelle tout Celte croyait d’une foi si ferme ? Pourquoi revenaient-elles ainsi, avec des lamentations et avec des sanglots ? Et non seulement les êtres jeunes, morts au combat, ou morts en mer brisés contre un écueil, pleuraient la terre douce et le sourire qui ne fleurirait plus jamais les lèvres fidèles ; mais les vieillards aux jours amers, mais les vieux bardes, mais les vieux chefs, tous revenaient, redemandant la vie…

Ceux de leur clan reconnaissaient leurs voix mêlées aux sifflemens du vent d’orage ; ils entendaient leur cri de révolte dans le hurlement des vagues. Et si une ombre aimée vous frôlait au passage, c’était les bras tendus, c’était dans un effort passionné et impuissant pour demeurer, pour revivre… Jamais, de mémoire d’homme, la barque mystérieuse des morts n’avait abordé au rivage par une nuit d’étoiles. Et les veuves et les mères apportaient aux disparus, en offrande suprême, un deuil semblable à leur deuil sans fin.

Dans une caverne aux voûtes envolées de cathédrale, une troupe nombreuse était assemblée. C’étaient des pêcheurs et des pâtres, des gens pauvres et rudes. Ils avaient planté en terre des torches de résine. Ils avaient allumé des brassées d’ajoncs qui faisaient étinceler comme des joyaux les stalactites des colonnes ; et engourdis par le froid, effarés par la tempête, ils se laissaient aller au bien-être de la chaleur et de l’abri.

Seuls, deux hommes à l’écart, au seuil de la grotte, semblaient ignorer que la pluie leur fouettait le visage, que l’écume rejaillissait jusqu’à leurs pieds. L’un était un vieillard décharné et pensif ; penché sur le gouffre, il effeuillait des branches vertes