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AMES CELTES


I


Le peuple de ces côtes entend les gémissemens des ombres qui volent avec un fruit léger. Il voit passer les pâles fantômes des morts.
Claudien.


La nuit était tout à fait venue. A la pointe du Raz, qui domine l’Océan de ses falaises, et tout le long de la baie des Trépassés, des formes vagues erraient çà et là, se collaient contre les roches, se blottissaient dans les moindres anfractuosités des murs de granit. Beaucoup cherchaient un abri dans les grottes qui bordent le rivage, car le froid était rigoureux.

Hommes et femmes arrivaient d’un peu partout : de Ker Is, dont on apercevait les feux à une portée de flèche ; des chaumières isolées où l’on descendait courbé en deux, comme dans des caves ; et là-bas, de plus loin, de l’intérieur des terres. Tous marchaient sans bruit ; tous se rassemblaient silencieux comme devant une tombe : et c’était bien un immense ossuaire, la mer sauvage où pour une nuit leurs morts devaient revenir, pressés comme un vol de mouettes. On était en novembre. C’était la nuit des âmes. Depuis le matin la pluie tombait, fine et triste ; maintenant, d’instant en instant, des éclairs jetaient des reflets froids sur les grèves, sur les êtres anxieux qui se penchaient pour mieux voir ; et ces lueurs aveuglantes rendaient ensuite les ténèbres plus sinistres et comme vivantes…

La mer montait depuis des heures, lente d’abord, avec des allures sournoises ; puis déchaînée, furieuse, grondant d’un