museau pointu, corps efflanqué, vastes oreilles en forme de cornet qui leur prête une physionomie comique et sauvage à la fois ; elle avait en outre le poil terne et rude, les paupières maladivement bordées de rouge ; mais Sophie Paulowna m’apprit à lire dans les vertes profondeurs de ces pauvres yeux, qui semblaient avoir pleuré, la bonté d’une petite âme prisonnière que n’eût pas désavouée le Bouddha. Sans être pour cela d’égal mérite, chiens, chats et oiseaux vivaient à Bouzowa en parfaite intelligence. Le large visage charnu de Sophie Paulowna, qui s’affine à la clarté du plus délicieux sourire, un sourire de vingt ans, ce laid et bon visage, infiniment aimable, rayonnait d’aise lorsqu’elle disait : — La loi de la lutte pour l’existence est ici transformée en loi d’harmonie ; mes animaux donnent l’exemple à la génération humaine. Les espèces les plus ennemies couchent ensemble dans la même cabane ; poules et poulets se promènent sur les chiens et les chats entrelacés ; vraiment c’est l’âge d’or.
Caserio et Ravachol démentaient bien un peu cette assertion, l’un ayant perdu sa queue et l’autre un œil à la bataille, ce qui leur prêtait mine de gueux et de bandits ; mais ils étaient certainement l’exception. Les chiens en revanche ne manquaient jamais de donner un coup de langue amical aux jeunes chattes Coronka et Knopka, lorsqu’elles passaient à leur portée. Parfois même on était effrayé de voir les pauvrettes disparaître à demi sans se défendre dans quelque énorme gueule. Elles en étaient quittes pour réparer en sortant de là le désordre de leur toilette avec ce soin méticuleux qui rend les chattes de tous pays si semblables à des femmes, ce soin coquet que pour sa part avait toujours dû ignorer Sophie Paulowna, dont les points caractéristiques étaient l’absence de corset et la coiffure tout de travers.
Un petit domestique en chemise rose, le corps plié par de grands saints, apporta sur un plat quelque chose de sanglant. Son visage mongol semblait animé d’un rire perpétuel et silencieux, les sourcils noirs se relevant d’un air de malice bien au-dessus des yeux en virgule. Il eût mérité de figurer à titre chinois dans la ménagerie ; c’était cependant un enfant du village. Il avait pour mission spéciale de hacher menu le cœur de bœuf, mets favori d’un très petit personnage qui jusque-là s’était occupé activement devant nous à fouiller le gazon d’un bec affilé plus long que lui pour y saisir des vers et des insectes. Ce jeune serviteur n’eut qu’à moduler un nom mélodieux : Oudoudou; le