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un voyage à Sparte.

et de l’objet que ses malédictions me décrivent si beau, j’enrichirai mon imagination. »

En vain, d’ailleurs, se reniait-il : un accent particulier, une invincible persistance de sa nationalité rappelaient toujours son climat naturel, et, par sa seule présence, Tigrane faisait régner l’Orient dans ma bibliothèque. En le regardant, on disait : « la plus aimable des pensées de l’Asie ! »

Je voudrais me rappeler ses paroles d’un soir d’hiver, quand nous suivions la rue de la Paix, vers six heures, et qu’il me développa que cette rue, avec ses diamans, le faisait toujours songer aux vieilles civilisations égyptiennes.

Après tant d’années, je n’entends plus de mon ami qu’un murmure, je ne me rappelle qu’une physionomie qui m’enchante ; mais chacune de ses phrases était vive et précise. Il me donne une idée de ces poètes persans qui menaient une vie errante et de qui l’œuvre est une riche collection d’anecdotes ornées. Bien que leur but essentiel fût d’instruire ceux qui en étaient dignes, ils recherchaient les déguisemens de la rhétorique ou bien ils affichaient une mobilité sceptique, car ils étaient souvent engagés dans des circonstances difficiles.

J’aimais beaucoup Tigrane pour sa puissance à faire de la poésie avec la vie. J’aimais aussi sa fierté. Non seulement il dédaignait de se raconter à ceux qui ne pouvaient pas collaborer à son œuvre, mais encore il voulait les ignorer. Il eût craint, en se voyant dans leurs yeux, d’être ramené à une vue trop basse sur soi-même. J’ignorais absolument les conditions de son existence. J’aurais imaginé volontiers une vie d’exil à la polonaise : des hommes chevaleresques, des femmes étincelantes à qui Chopin fait de la musique. Il n’en allait pas ainsi. Mais quelle intervention l’eût servi ? Il lui fallait, pour lui, la gloire, et, pour l’Arménie, la liberté.

J’ai connu la vérité après sa mort, dans ses lettres à sa mère. En me les remettant, elle eut un mot qui fait l’image la plus touchante et la plus juste : « Vous les comprendrez mieux que nul poète, ces cris d’un oiseau mourant, et, comme tel, il a exhalé son dernier soupir, une plainte céleste. » Ces lettres montrent toute l’amabilité de mon ami. L’enfant y réapparaît sous l’adolescent d’une intelligence héroïque. Il dit à sa mère ce qui peut la rendre orgueilleuse, il tâche de la faire jouir des instans de chaleur, de lumière que ses