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Xe siècle byzantin pendant lequel les Grecs et les Arméniens s’unirent contre les Slaves et les Musulmans. Lui-même a étudié spécialement cette époque, et en a tiré la matière d’une trilogie, où règne la figure de Théophano. La dernière pièce de cette trilogie est Zimiscès, l’empereur arménien, pour lequel il est tout feu et passion, et probablement son imagination lui fait retrouver en Tigrane l’énergie et le philhellénisme de ce Jean Zimiscès. Il vient de consacrer à Tigrane un article qui débute par une citation de Schiller : « J’ai vingt-deux ans et je n’ai rien fait encore pour l’immortalité. » Il continue : « Ces vers que Schiller met dans la bouche de don Carlos et dont beaucoup d’entre nous sentent encore l’amertume à quarante ans, Tigrane n’en a point éprouvé la mélancolie. » Tu vois que l’on est plongé ici dans l’histoire et dans le lyrisme.

« Je t’écris à la hâte, car quelqu’un m’attend pour me conduire aux jardins du roi. On y voit de belles allées que fit dessiner la reine Amélie, femme d’Othon. C’est grâce à ses soins qu’Athènes fut fleurie et décorée d’arbres. Il paraît qu’au début, on allait voler toutes les fleurs de ses parterres, surtout aux jours où il y avait quelque fête au palais. Aussi, chaque fois qu’elle recevait, avisait-elle ses invités qu’ils ne devaient pas être fleuris. Olga n’est nullement aimée par le peuple qui la considère comme une Slave, comme une barbare.

« Ce soir, je vais manger un excellent yoghourt, cadeau d’Arméniens que nous avons réussi à placer en ville comme restaurateurs. Quand remangerons-nous ensemble de toutes ces bonnes choses ? Si nous pouvions nous rencontrer ici, au printemps, pour quelques mois !… Je suis obligé de glisser et de me taire sur la partie sérieuse de mon séjour… »


Tigrane doit se taire à cause de la police ottomane, et moi, je diminue peut-être le caractère politique de mon ami, si je laisse s’épancher devant des lecteurs sans complaisance ce long chuchotement d’un fils de vingt-cinq ans à l’oreille d’une mère inquiète. Il la caresse en lui disant : « On fête ton fils. » La jolie animation de cette figure adolescente sous le soleil d’Athènes et sous les premiers feux de la gloire ! Désormais, tous les rêves de Tigrane évolueront autour de ces heureuses semaines de septembre-octobre 1896, étroit espace lumineux d’une vie sur qui va tomber la plaie noire de l’exil.