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toutes mes curiosités ; il laisse irrésolue la plus grave des péripéties de sa pièce. Qu’est-il advenu de Thèbes ?

Je suis convaincu que Sophocle a déformé l’histoire, et qu’en fait Hémon a vécu pour épouser Ismène et régner. Cette révolution, selon moi, fut l’œuvre de Tirésias. Le caractère exact de ce prêtre est discernable à travers les déformations (légitimes) du poète. Tirésias était un agitateur, un prophète, un journaliste, fort habile, mais vénal.

— L’appât du gain te dicte tes discours, lui dit Créon. Toute la race des devins est avide d’argent.

— C’est grâce à moi, réplique Tirésias, que tu as sauvé l’État, que tu règnes.

— Tu es habile, oui, c’est certain, mais je me méfie…

Tirésias attendait une circonstance favorable. La mort d’Antigone le sert. En marchant à la mort, la victime disait aux partisans d’Étéocle et aux partisans de Polynice : « Voyez, chefs des Thébains, une princesse, seul reste du sang des rois, voyez quels outrages elle reçoit. » Un tel spectacle dut en effet émouvoir la populace. Songez à l’utilité d’un cadavre dans nos troubles parisiens. Cette mort, par son pathétique, refit l’unité dans Thèbes ; surtout elle donna plus d’assurances pour l’avenir à Tirésias. Il voyait bien que sur une Antigone on ne peut rien fonder, mais au nom de la jeune Ismène, il gouvernera comme Joad, dans Athalie, sous le couvert du jeune Joas.

Ce serait un plaisir de reconstituer l’habile et sainte argumentation par laquelle Tirésias, sur l’Acropole de Thèbes, justifia, consacra le nouveau règne. Sans nul doute, ce prêtre a devancé la fameuse doctrine de Joseph de Maistre sur l’efficacité merveilleuse du sacrifice volontaire de l’innocence qui se dévoue elle-même à la divinité comme une victime propitiatoire : « Toujours les hommes ont attaché un prix infini à cette soumission du juste qui accepte les souffrances… Les changemens les plus heureux qui s’opèrent parmi les nations sont presque toujours achetés de sanglantes catastrophes dont l’innocence est la victime. »

Bien que de telles idées aient été, je crois, étrangères à l’indomptable Antigone, chez qui le fait princier, l’orgueil du sang suffit à rendre tout intelligible, on ne blâmera point Tirésias de les lui avoir prêtées. C’est l’usage des politiques de maquiller la figure et de fausser la pensée des cadavres.