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devoir courir après la majorité républicaine qui semblait lui échapper, tandis qu’elle lui serait revenue s’il l’avait attendue de pied ferme ; enfin il est entré dans la voie des marchandages. Il a demandé aux radicaux ce qu’ils voulaient : ils voulaient le ministère de l’Intérieur et ils ont exigé qu’on le leur donnât à la veille des élections. En conséquence, M. Etienne, qui avait montré des qualités réelles dans ce ministère mais qui, pour cela même, ne faisait pas suffisamment l’affaire des radicaux, a remplacé M. Berteaux rue Saint-Dominique. Les destinées de notre armée tiennent à cela ! La première pensée de M. Rouvier avait été de remplacer M. Etienne lui-même par M. Thomson. Nous l’aurions regretté, car M. Thomson a, suivant l’expression consacrée, réussi à la Marine et le moment était mal choisi pour l’en retirer : nos arsenaux maritimes sont à la veille d’une grève : elle vient même d’être proclamée. Mais ce n’est pas pour ce motif que M. Thomson a été maintenu à la Marine ; c’est parce que les radicaux ont prononcé contre lui l’exclusion du ministère de l’Intérieur. Qu’auraient-ils gagné au départ de M. Etienne si M. Thomson lui avait succédé avec les mêmes idées, les mêmes procédés, et peut-être un peu plus d’énergie ? Il a fallu leur donner M. Dubief, qui est un homme doux sur lequel ils comptent. M. Dubief ayant été lui-même remplacé au Commerce par M. Trouillot, le ministère s’est retrouvé au complet.

Mais M. Rouvier avait donné la preuve de sa faiblesse envers les radicaux et les socialistes. Vainqueur le 7 novembre, il a été en réalité vaincu le 11, et par sa propre défaillance. Dès le 9 novembre, il a fait acte de présence au Sénat, et a déclaré fièrement à la haute assemblée qu’il ne resterait pas un jour de plus au pouvoir si elle ne votait pas la séparation de l’Église et de l’État. Tout le monde a compris que ce n’était pas pour le Sénat qu’il parlait, mais pour la Chambre : il voulait rentrer en grâce auprès des radicaux. La manœuvre était peut-être ingénieuse ; elle a semblé ingénue. La séparation ne courait, hélas ! aucun risque au Sénat, où on peut la considérer comme faite : il fallait donc autre chose pour amadouer les mécontens. Alors, M. Rouvier leur a lâché l’Intérieur. En deux mots, voilà toute la crise ministérielle : elle aurait pu mieux tourner.


Les nouvelles de Russie sont de deux sortes. Les unes sont relatives au mouvement réformiste, les autres au mouvement révolutionnaire. Les premières sont bonnes et ne peuvent manquer de produire une impression favorable dans le monde entier comme en Russie, et plus encore, car, en Russie, l’impression reste confuse ; les