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En conséquence, ils se livrent en dehors de leur travail à une propagande anti-militariste effrénée ; ils injurient leurs chefs ; ils attaquent le gouvernement. Ne sont-ils pas de libres citoyens ? Quand ils ont fourni à l’État-patron l’ouvrage pour lequel celui-ci les paie, que lui doivent-ils de plus ? Qui oserait leur interdire d’exprimer leur opinion comme nous le faisons, vous ou moi ? Voilà ce qu’ils disent. M. le ministre de la Marine se débat en ce moment au milieu des difficultés sans nombre que lui crée cet état d’esprit ; il essaie de résister ; puis id cède partiellement ; puis il se reprend. Nous compatissons à son embarras : l’héritage de son prédécesseur est lourd à porter ! La distinction entre les ouvriers qui font des cigares et ceux qui font des fusils et des canons ; bien qu’elle apparaisse comme nécessaire, devient de plus en plus difficile à soutenir. En tout cas, on la maintient de jour en jour avec moins de force, et le moment approche peut-être où on y renoncera. C’est ce que demandent les socialistes et leurs amis radicaux : il n’y aura plus de difficultés, disent-ils, lorsque le gouvernement aura accepté toutes les revendications de ses ouvriers. Les difficultés, en effet, changeront de caractère. Mais celles de demain seront-elles moins graves, moins inquiétantes, moins angoissantes, lorsqu’elles se confondront avec l’affaiblissement de la défense nationale ? Grave question.

Ce n’est pas cependant celle qui s’est posée, le 7 novembre, à la séance de la Chambre : il s’agissait ce jour-là des instituteurs. Il s’agit souvent, trop souvent, des instituteurs : on n’entend parler que d’eux. Malgré tout ce qu’a fait le gouvernement de la République pour améliorer leur situation matérielle et morale, ils ne sont pas contens ; ils demandent toujours davantage. C’est leur droit sans doute ; mais comment l’exercent-ils ? Ils entendent l’exercer à l’exemple des ouvriers, et ils commencent eux aussi à s’organiser en syndicats. Organisez-vous en associations, leur dit-on, doucement. — Non, répondent-ils, en syndicats. Ils y tiennent ; rien ne les en fera démordre. On a pu croire un moment qu’ils se conformeraient sur ce point à l’opinion du gouvernement, puisqu’ils avaient prié M. le ministre de l’Instruction publique de vouloir bien la leur faire connaître : n’était-ce pas s’engager indirectement à l’accueillir avec déférence et à s’y soumettre ? Ils espéraient sans doute qu’un ministre comme M. Bienvenu-Martin leur donnerait gain de cause et autoriserait leurs syndicats ; mais ils se sont trompés. M. Bienvenu-Martin, quelles que soient ses tendances personnelles vers les opinions les plus avancées, est un juriste : il ne pouvait pas méconnaître la loi, ni faire fi de la jurisprudence qui l’a