Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivre au loin. Obligé de subir l’une ou l’autre de ces nécessités, on comprend qu’il éprouve une indicible angoisse : son état d’esprit doit être pareil à celui du condamné, lorsqu’il ne reste plus aux juges qu’à délibérer sur sa peine. Mais cette peine même, Robert sait qu’il dépend de lui de s’y soustraire. Le coup de pistolet libérateur brisera la porte de sa prison. Cela nous explique son calme. Les stoïciens avaient fait du suicide une vertu : aussi le sage, suivant leur formule, ignorait-il les troubles de l’âme et envisageait-il avec sérénité les pires servitudes, ayant toujours à sa disposition le moyen de s’en libérer.

Dans la Marche nuptiale, la question posée par M. Bataille est celle-ci : qu’une jeune fille de conscience droite et scrupuleuse, d’éducation chrétienne, dans un moment d’égarement, commette cette folie de se sauver avec un amant ; le jour où les écailles lui seront tombées des yeux, que va-t-elle faire ? Grâce de Plessans a joué dans une minute toute son existence. Née d’une bonne famille, grandie en province, vertueuse, pieuse, mystique même, elle a cru trouver dans son professeur de piano, Claude Morillot, l’homme désintéressé, bon, généreux et noble qui sera pour elle le compagnon idéal. Quelques semaines de vie en commun, et elle a pleinement reconnu l’immensité de son erreur. Ce Morillot est, dans toute la force du terme, un pauvre être, sans initiative, sans volonté, sans courage : il n’a même pas enlevé la jeune fille, il s’est laissé enlever par elle. Sans talent comme sans énergie, ce premier prix du Conservatoire de Nancy va tâcher de végéter dans un petit emploi que lui obtient sa compagne. Il a une mentalité tellement incertaine qu’il ne distingue pas très bien les notions les plus élémentaires du bien et du mal : il vole 200 francs dans la caisse de son patron pour louer à sa femme un piano d’où la mélodie emportera leurs deux âmes vers les régions éthérées. C’est un inconscient. La gaffe est complète, absolue, et probablement irrémédiable. Grâce va-t-elle céder à la tentation qui guette à Paris, — et ailleurs, — toute fille jeune, jolie et qui s’est mise dans une situation fausse ? M. Lechatelier, le patron de l’infortuné Claude, s’est tout de suite épris d’elle et, habitué qu’il est à ne guère trouver de cruelles parmi les femmes de ses employés, il lui a fait des propositions aussi claires que déshonnêtes. Grâce l’a remis à sa place très dignement dans une scène fort joliment conduite. Mais ce Lechatelier s’obstine ; n’ayant pas réussi par la brutalité, il change de tactique, soumet Grâce à un siège en règle, découvre pour la séduire des ressources inattendues de délicatesse et de réserve. Un moment