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dernier des Mauferrand sera mort insolvable et aura fait banqueroute à ses engagemens. A moins que, pour conjurer cette ruine, elle ne se décide à employer un remède héroïque, et qu’elle ne consente à cette mésalliance, qui, son père vivant, lui faisait horreur. Mais ce serait la pièce elle-même qui recommencerait. — Robert de Chacéroy a perdu au jeu une somme de 650 000 francs qui ne lui appartenait pas. Ses commanditaires, mis en défiance, exigent le remboursement. Il n’a pu trouver à emprunter ailleurs la somme aventurée au jeu. Il se tue. Eh bien ! mais, ce sont ses commanditaires qui sont volés de 650 000 francs. Et cette malheureuse Hélène, sa maîtresse, qui, pour se procurer cette somme, est allée frapper à toutes les portes, a crié son secret, s’est déshonorée, a déserté la maison conjugale, que de-viendra-t-elle ? Sa destinée ne va-t-elle pas être un drame nouveau dont la crise est ouverte justement par le suicide de son amant ? — Grâce de Plessans, après avoir, pendant quelques mois, dégringolé de déceptions en déceptions, comprend que décidément il n’y a rien à faire de l’inepte croque-notes à qui sa folie l’a rivée, qu’elle aime ailleurs, qu’elle est sur le chemin qui mène à toutes les hontes ; alors elle se tue ; et sans doute cela nous est tout à fait indifférent à nous autres, que son pianiste devienne ce qu’il pourra ; mais comment Grâce n’a-t-elle pas réfléchi qu’elle partie, ce pauvre homme ne sera plus qu’une loque humaine, qu’en fait c’est elle qui a bouleversé la vie de ce timide, et qu’elle lui laisse, avec l’horreur de l’avenir qui s’ouvre devant lui, les douloureux souvenirs d’un passé de cauchemar et le remords même de ce suicide dont il aura été tout au moins l’occasion ? « Vous, parbleu ! vous seriez bien tranquille, dit une petite femme dans une comédie de Meilhac : vous seriez noyé. Mais moi, qu’est-ce que je deviendrais ? » C’est là, exprimée sous une forme bouffonne, cette idée qu’après le suicide la situation reste aussi difficile et les choses sont un peu plus embrouillées qu’avant.

Dira-t-on, comme on le fait souvent, qu’il n’est pas nécessaire qu’une action se termine au dénouement, que dans la vie rien ne s’achève, tout se continue, et qu’il est conforme à la réalité de voir sortir d’une catastrophe d’autres catastrophes et s’emmêler sans cesse l’écheveau des difficultés ? Ce serait n’avoir pas compris l’objection. En effet, lorsqu’il se débarrasse par le suicide d’un personnage dont il ne sait plus que faire, non seulement l’auteur ne dénoue pas la situation, mais, ce qui est beaucoup plus grave, et ce qui en matière de théâtre devient impardonnable, il ne répond pas à la question qu’il a lui-même posée. C’est ici le point essentiel. Une pièce de théâtre