Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ridiculise à la fois les anciennes mœurs et les nouvelles, les pères vieux jeu et les filles émancipées, mais elle se distingue des autres pièces de M. Shaw par un défaut qui est rare chez lui : elle est ennuyeuse. On en jugera par ce fait que le seul élément comique qu’elle contienne est un médecin qui a inventé non une panacée, mais une maladie. Son désespoir, lorsqu’on découvre que cette maladie est imaginaire, ne nous amuse qu’un moment. Comme s’il tenait à se montrer un sot deux fois dans le même après-midi, il épouse avec des transports de joie la jeune fille qui a cessé de plaire au Philanderer. Mais qu’est-ce donc qu’un Philanderer ? C’est un homme qui ne fait la cour aux femmes ni pour le bon ni pour le mauvais motif. Que veut-il ? S’amuser. Seulement, — comme on l’a dit des Anglais en général, — il s’amuse tristement, et il y a dans l’attitude de ce séducteur glacial et dégoûté quelque chose qui n’est pas très viril. On dit la société anglaise infestée de ces gens-là.

M. Bernard Shaw a écrit Man and Superman pour faire plaisir à M. Walkley. Connaissez-vous M. Walkley, le spirituel critique du Times ? Si vous ne le connaissez pas, il vous connaît bien, car il possède son Paris sur le bout du doigt. Un soir, ayant M. Shaw pour voisin de stalle, il lui a dit : « Vous devriez écrire une pièce sur Don Juan. » M. Bernard Shaw, après de longues années d’oubli, a écrit Man and Superman et l’a envoyé à M. Walkley en lui disant : « Voilà votre pièce sur Don Juan. Vous êtes responsable de tout ce qu’il y a dedans. » Je ne sais ce qu’en pense M. Walkley. Pour moi, en lisant cette comédie, je me disais : « Où est Don Juan ? » Je n’apercevais que M. John Tanner qui, bien loin de séduire les femmes, a une peur horrible de tomber dans leurs filets et s’enfuit à travers toute l’Europe, de toute la vitesse de son automobile, pour échapper aux cajoleries de miss Ann Whitefield. Il arrive ainsi dans un endroit désert de la Sierra-Nevada où son pneu éclate. En effet, la route est couverte de clous. C’est un procédé ingénieux et peu fatigant pour arrêter les automobiles, où l’on trouve généralement un gros butin. L’idée est exploitée par une bande, pardon ! par une compagnie Mendoza, limited, qui est probablement cotée à la Bourse de New-York. Le personnel de l’entreprise est cosmopolite, et la France est représentée d’une façon qui n’est nullement faite pour nous enivrer de fierté. Au point de vue des opinions : un anarchiste, deux socialistes, le reste, — la grande