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M. BERNARD SHAW
ET
SON THÉÂTRE


I

Le Français qui se rend à Londres pour un séjour de quelque durée commence par s’informer des théâtres. « Que joue-t-on ? Que faut-il voir ? » La réponse variera suivant le milieu social où la question est posée. Est-ce dans le monde de la Cité, qui ne voit dans le spectacle que l’amusement du soir après une journée d’affaires ? On enverra notre Français à la farce musicale la plus en vogue, à celle dont cinq cents représentations ont, comme on dit, affirmé le succès. Est-ce dans la « Société, » où l’on se pique de littérature ? L’interlocuteur haussera doucement les épaules. « Le Théâtre ? Nous n’avons pas de théâtre ! » Notre compatriote s’étonnera et, pour faire voir qu’il est au courant, citera deux ou trois noms : Barrie, Jones, Pinero… « Oui,… Pinero… Mais c’est égal, nous n’avons pas de théâtre. » Enfin si la personne que l’on interroge appartient au monde des lettres et au groupe le plus avancé, le plus indépendant de ce monde-là, après avoir confirmé le fait de la décadence profonde du théâtre anglais, peut-être ajoutera-t-elle : « Nous avons bien un grand écrivain dramatique, mais on ne le joue qu’en Amérique et en Allemagne. — Et c’est ?… — M. Bernard Shaw »