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toutes deux concluent sinon à ne pas conclure, au moins à ne pas construire, puisque aussi bien ce n’est pas le fait qui se plie au système, mais le système qui se brise au fait.

Nous ne construirons pas, et nous ne conclurons que sur les faits, sur des faits qui nous seront connus dans toutes leurs circonstances. Ainsi, malgré tout ce que nous avons vu et tout ce que nous avons noté sur le travail, nous ne le connaîtrons vraiment que lorsque nous connaîtrons également les circonstances de travail. Nous ne connaîtrons le travail à l’état normal, le travail en état de santé, que lorsque nous connaîtrons les maladies du travail ; nous ne connaîtrons utilement les maladies du travail que lorsque nous en connaîtrons l’hygiène, la médecine ou la thérapeutique. Alors seulement nous nous risquerons légitimement à conclure. J’associe exprès ces deux termes, qu’il est un peu singulier de joindre : « se risquer » et « légitimement. » Oui, « nous nous risquerons, » parce que toujours « on se risque » et « on risque » à conclure, même sur des faits, même sur des faits munis de toutes leurs circonstances comme un chiffre de son exposant, même avec toutes les réserves et toutes les précautions. C’est de la diverse et multiple et complexe et changeante matière sociale, c’est de la matière humaine, c’est de la société et de l’humanité, c’est de la vie que nous touchons ; c’est une onde, une fuite que nous prétendons saisir et fixer. Mais pourtant nous nous risquerons aussi « légitimement » qu’il se puisse faire, parce que, cela fait, nous aurons, autant qu’on peut le faire dans un aussi vaste domaine que le règne du travail, fermé le cercle et embrassé le phénomène tout entier.


CHARLES BENOIST.