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dont s’enveloppe la fabrique lyonnaise s’épaissit. Tout à l’heure, tant qu’il ne s’agissait que de l’industrie de la soie, de la fabrique en son ensemble, on regardait « l’étranger curieux » avec une bienveillance légèrement narquoise ; sitôt qu’il s’informe du salaire, il semble s’y mêler de la commisération, à moins que ce ne soit de la méfiance. Replié sur lui-même, entre les collines qui l’enserrent et bouchent au bout des rues son horizon, le Lyonnais aime bien s’occuper seul de ses affaires, et il ne veut montrer au monde que ce qu’il lui vend. Si pourtant un homme audacieux et préalablement vêtu de la triple cuirasse pousse de ce côté ses investigations, on ne le voue sans doute pas aux dieux irrités de la cité, on est de trop bonne grâce et de trop bonne éducation pour se livrer à cet excès d’humeur, — mais on l’abandonne à son sort, et on le laisse aller avec ses dieux à lui, que l’on espère tout bas et que peut-être on souhaite impuissans. Ce n’est pas d’hier que ce sentiment se révèle : « Il est peu de sujets dans toutes mes recherches, faisait observer Villermé, sur lesquels il m’ait été aussi difficile d’avoir une opinion que sur les salaires payés par la fabrique de Lyon, et sur leurs rapports avec le prix des choses nécessaires à la vie ; on ne s’entendait même pas sur le point le plus facile à constater, le chiffre des salaires[1]. » Ferai-je observer à mon tour que c’est là en effet, un point toujours obscur dans les recherches sur les industries, et principalement sur les métiers de femmes, qui sont, d’autres diraient probablement parce que ce sont des métiers à salaires bas ? Mieux vaut répondre que, grâce à l’obligeance de M. D…, si je n’ai pas tout su, je n’ignore plus tout à fait tout. De toutes les opérations ci-dessus décrites, le moulinage seul se paye à la journée : tout le reste (sauf le travail des prépareuses et celui des finisseuses) est à la tâche. M. D… estime que chez lui, — il a grand soin de préciser : chez lui, — le salaire moyen est d’environ 3 francs ; que les ouvrières les plus habiles peuvent aller à 3 fr. 50 (4 francs étant considéré comme un chiffre absolument exceptionnel même pour les meilleures ouvrières) ; que les moins bonnes gagnent 2 fr. 75 (ce chiffre étant cependant considéré comme un peu faible). D’après le tableau qu’il fit dresser pour se rendre compte du plus ou moins bien fondé des revendications de ses ouvrières en chômage, lors de la grève générale

  1. État physique et moral des ouvriers, I, 374.