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intacte, afin d’être prêtes à l’heure de la reprise, tout cela a créé entre le patron et l’ouvrier une solidarité d’intérêts, latente, mais effective, qui est une garantie pour celui-ci. Tout en restant, selon les exigences de sa nature, divisée en petits ateliers, la fabrique lyonnaise en est venue néanmoins à présenter, au peint de vue de la permanence du travail, des avantages qui semblaient l’apanage exclusif des agglomérations de métiers en usine ; tous ses élémens ont plus de cohésion. Ne lui est-il pas aussi permis de montrer, avec une complaisance partiale, comme témoignage de ce qui peut être fait dans cette voie, outre les cinq mille métiers mécaniques qu’elle emploie, ces beaux et grands établissemens peu nombreux, il est vrai, mais d’autant plus remarquables, où toutes les opérations de la soie sont concentrées, depuis la filature jusqu’au tissage[1] ? »

Ici, la Chambre de commerce de Lyon, et son porte-parole autorisé, qui, dans l’espèce, était, je crois, son secrétaire, allaient peut-être un peu loin, comme Audiganne l’avait fait. Il n’y avait point de « transformation, » encore moins de « révolution ; » modification suffisait ; » il n’y a point eu substitution, mais superposition ou juxtaposition de l’usine à l’atelier. Ce qui est exact et ce qui est caractéristique, c’est que le travail est allé de « l’unité » à « la trinité, » par les deux adjonctions successives du tissage rural au tissage urbain, et du métier mécanique au métier à la main. Le mouvement, puisque c’est le mot consacré, a été double ; l’industrie de la soie a d’abord reflué de Lyon sur les campagnes environnantes, puis s’est concentrée, et tend encore à se concentrer en usines.

Elle est moins strictement et moins spécifiquement lyonnaise qu’elle ne le fut pendant des siècles après que les proscrits lucquois, florentins ou génois, Guelfes ou Gibelins, chacun à son tour, ces fuorusciti dont les uns allaient devant eux cherchant la paix et les autres cherchant leur pain, y eurent introduit et acclimaté leur art subtil et délicat. Quiconque ferait ou referait le dénombrement de ses métiers aux diverses époques : 10 000 avant la révocation de l’édit de Nantes, 2 000 après 1685 ; 18 000 en 1787,

  1. Exposition universelle de Vienne, la Fabrique lyonnaise de soieries, son passé, son présent. Imprimé par ordre de la Chambre de commerce de Lyon, 1 vol. gr. in-4o, Lyon, Perrin et Marinet, 1873. — Cet écrit n’est pas de M. Morand, aujourd’hui secrétaire de la Chambre de commerce, à qui nous devons un travail semblable pour l’Exposition de 1889, mais de son prédécesseur.