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dans le sens de l’utilité. C’est pourquoi la révolte contre eux a été « universelle, » elle aussi, et pour le moment ils ont perdu la bataille ! Mais ne nous flattons pas de l’avoir gagnée définitivement. Il existe un Comité des Monumens historiques, et de très honnêtes gens ont formé un Comité pour la protection des Paysages ! Nous verrons un peu ce qu’ils feront, je veux dire ce qu’ils pourront, quand il s’agira de « multiplier le trafic, » en faisant passer une ligne de chemin de fer par le travers d’un beau paysage, ou quand une grande ville se plaindra qu’elle étouffe dans son « enceinte historique. » Je ne lis pas non plus un récit de voyage aux Etats-Unis sans y trouver un chapitre sur l’Uniformité des villes américaines. Les Américains n’en continuent pas moins de les construire more geometrico, et, nous, dans nos capitales, nous commençons à les imiter, pour des raisons d’hygiène, quand ce n’est pas pour des raisons de finances. Nous vivons dans un temps où les oreilles des hommes n’entendent qu’à ces raisons pratiques d’utilité prochaine, et de rendement certain. Ne doutons donc pas que l’on veuille de plus en plus rendre les langues « universelles, » en les rendant « rationnelles, » et notamment la langue française. On a tâché de montrer, dans les pages qui précèdent, l’origine et l’intention première de cette « transformation, » et on a taché de montrer quels en étaient les dangers. S’il y a quelques moyens de les éviter, je n’en connais pas de meilleur que de résister aux prétentions des grammairiens ; de les obliger à se contenir dans leur rôle de greffiers de l’usage ; et de maintenir aux seuls écrivains un droit qui n’appartient qu’à eux sur l’évolution de la langue.


FERDINAND BRUNETIERE.