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superficielle est celle qui, par une longue accumulation de variations du vocabulaire, en modifie la physionomie ? Le vocabulaire de Bossuet n’est pas celui de Rabelais, et le vocabulaire de Voltaire n’est plus celui de Bossuet. On voit d’ailleurs, par cet exemple même, que la transformation a sans doute été plus profonde de Rabelais à Bossuet que de Bossuet à Voltaire. Mais la vérité est, d’autre part, que si ces nuances sont faciles à sentir, elles sont moins faciles, ou plutôt elles sont extrêmement délicates à préciser, et même à définir. A distance, et en gros, les transformations sont certaines ! Mais en quoi elles ont consisté, c’est ce qu’il est toujours un peu hasardeux de vouloir dire ; et quand on veut bien y réfléchir, il y en a d’assez bonnes raisons, dont les grammairiens, en général, et les historiens de la langue ne tiennent pas assez de compte, parce que, disent-ils, elles sont littéraires ; — et la littérature n’est pas leur affaire, à eux qui ne sont brevetés que de grammaire et de philologie.

Il y a, en premier lieu, la solidarité nécessaire de la forme et du fond, de l’expression et de la pensée. Nous trouvons, à tort ou à raison, que Marmontel et Ginguené n’écrivent pas la même langue, et que, celle qu’ils écrivent, ils ne l’écrivent pas aussi bien que Fontenelle et que Mme de Staal Delaunay : c’est peut-être et tout simplement qu’ils ne pensent pas aussi bien, je veux dire aussi finement, et ingénieusement. La langue elle-même n’a point changé, mais ce sont différens écrivains qui ne la manient pas avec la même aisance. Les Remarques de Voltaire sur les Pensées de Pascal ne sont assurément pas du même style que les Pensées : cela tient-il à la langue, ou à la qualité de la pensée même de Pascal et de Voltaire ? C’est encore ce qu’il n’est pas très aisé de déterminer. Il ne l’est pas non plus de distinguer, dans une page de La Motte ou de Marivaux, si d’ailleurs on trouve qu’elle diffère d’une page de Voiture, ce qui est proprement de la « langue » de l’un et de l’autre écrivain, et ce qui peut-être ne dépend que des changemens survenus dans la manière générale de penser, entre 1650 et 1720. Ce n’est guère plus d’un demi-siècle, soixante-dix ans seulement, mais, dans ces soixante-dix ans, que de choses se sont passées ! Et enfin, dans toutes les langues, si le grand écrivain n’est pas précisément celui qui a écrit « mieux » qu’un autre, mais celui qui a écrit d’une manière originale, et par conséquent unique, quoi de plus difficile que de démêler dans sa « langue, » ce qui est de