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Voici quelques observations de Gamache sur ce sujet : « Que le poète, sur le fondement qu’il personnifie la Mort, affecte de paraître surpris qu’un prince ne puisse se défendre contre elle, secouru par ceux qui veillent à sa garde, c’est assurément nous marquer qu’il a des idées fort singulières… Quand Malherbe n’exprimerait dans ses vers aucun mouvement de surprise, son assertion n’en serait pas moins vicieuse. On ne peut, sans tomber dans la puérilité, affirmer sérieusement ce qu’il serait ridicule de révoquer en doute. » C’est ce qui s’appelle « raisonner ! » Il est vrai que Condillac, — à qui j’emprunte la citation [Traité de l’art d’écrire, Livre II, ch. 13] car j’avoue n’avoir point lu Gamache, — trouve que « cette critique n’est pas fondée.. » Rivalité de grammairiens ! Mais, en revanche, lui, ce qu’il critique, c’est le vers :


Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre.


« Car, dit-il, quel est l’objet de Malherbe ? C’est de démontrer que rien ne résiste à la mort. Or c’est à quoi le toit de chaume est tout à fait inutile. » Et plus loin, après les avoir combattues, s’associant décidément aux critiques de Gamache, mais pour d’autres motifs : « Les quatre premiers vers de Malherbe sont mauvais, nous dit-il. Les expressions n’en sont pas nobles ; elles sont même fausses ; car « se boucher les oreilles » est l’action d’un caractère qui craindrait de se laisser toucher. » On n’oubliera pas d’ailleurs que de tous ces grammairiens, Condillac est de beaucoup le plus intelligent, et, à vrai dire, le seul dont l’analyse ait pénétré un peu avant dans le mystère de l’Art de penser et d’écrire.

Mais on conçoit aisément ce que la langue générale du XVIIIe siècle est devenue en de telles conditions, sous l’action de cette critique plus restrictive que « rationnelle ; » et, de fait, à ce moment de la transformation, les contradictions se concilient ; les livres de M. Gohin et de M. François ne s’opposent plus, ils se rejoignent ; et la nature de la transformation, si nous ne l’avions pas aperçue, se déclare. L’usage et la tradition ne formant plus barrière, le champ s’ouvre au néologisme, dont l’introduction dans le vocabulaire est devenue, pour une langue désormais fixée, le seul témoignage de sa vitalité subsistante. La langue n’est pas morte, puisqu’elle continue, tout au moins, de s’accroître ! Mais, en même temps, on tombe d’accord de la