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écrite à la langue parlée. « Autre chose est de parler ou décrire, dit à ce propos l’abbé d’Olivet : car si l’on veut s’arrêter aux licences de la conversation, c’est le vrai moyen d’estropier la langue à tout moment ! » C’est, on le voit, la contradiction formelle du principe de Vaugelas. La contradiction n’est pas moins apparente dans cet autre passage : « Moins la grammaire autorisera d’exceptions, moins elle aura d’épines ; et rien ne me paraît si capable que des règles générales de faire honneur à une langue savante et polie. » Et, de proche en proche, sous le couvert de ces observations, qu’on eût crues d’abord inoffensives, nous aboutissons, vers 1750, à cette conclusion, qui est de d’Alembert, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie : « Éclairée par une métaphysique fine et déliée, la grammaire démêle les nuances des idées, apprend à distinguer ces nuances par des signes différens, donne des règles pour faire de ces signes l’usage le plus avantageux, découvre souvent, par cet esprit philosophique qui remonte à la source de tout, les raisons du choix bizarre en apparence qui fait préférer un signe à un autre, et ne laisse enfin à ce caprice national qu’on appelle l’Usage que ce qu’elle ne peut pas absolument lui ôter. » Voilà pour le coup les griefs des grammairiens nettement exprimés : l’usage est « capricieux, » et la grammaire d’une langue savante et polie doit être « rationnelle » ou du moins « raisonnable ; » l’usage est « national, » et nous voulons une grammaire qui soit « universelle ; » et, — d’Alembert ne le dit pas, mais d’autres le diront pour lui, et s’ils ne l’avaient pas dit, nous prendrions sur nous de le dire pour eux, — l’usage est « aristocratique, » puisqu’on l’a défini jusqu’à eux par sa « conformité avec la façon de parler de la plus saine partie de la Cour. » Capricieux, national, et aristocratique, c’en était plus qu’il ne fallait pour condamner la doctrine de l’usage ; et, en effet, la substitution d’une autre doctrine à la doctrine de l’usage est le premier trait de la « transformation de la langue » au XVIIIe siècle.

J’ai tâché d’expliquer ici même, dans une étude sur Vaugelas et la doctrine de l’usage[1], ce que c’était, dans l’esprit de Vaugelas que « la plus saine partie de la Cour, » et je crois avoir montré que ce n’était pas « le courtisan, » — dans le sens qu’aussi bien ce mot lui-même n’a décidément pris que depuis Vaugelas

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1901.