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la prose oratoire de Bossuet, ce caractère de « familiarité » parlée, qui offense la délicatesse mondaine de Voltaire ; et ce qui n’est pas douteux, c’est qu’elle nous rend compte, en nous en expliquant l’origine et l’objet, des « irrégularités » que les puristes nous signalent à l’envi non seulement dans les vers, mais dans la prose de Molière[1].

Citons à cet égard de justes et fines remarques de M. François : « Rien n’égale, nous dit-il, la satisfaction de Vaugelas lorsqu’il découvre « une belle et curieuse » exception aux règles qu’il s’efforce d’établir. Longtemps après lui les grammairiens célèbrent encore le charme de l’irrégularité en matière de langage. Le gallicisme, ce fils insoumis de la langue, leur inspire plus que de l’indulgence ; ils ont pour lui toutes les faiblesses. » Et qu’est-ce que le gallicisme, sinon « une façon de parler » proprement et purement française, dont ni l’analogie, ni l’histoire, ni la raison ne rendent compte, qui ne se tire que de l’usage, qui est parce qu’elle est ? et qu’en vain essaiera-t-on de proscrire, on n’y réussira toujours qu’incomplètement, parce qu’elle tient au fond ou au génie même de la langue. C’est au gallicisme que songeait Chapelain, quand il écrivait, sur une marge de son exemplaire des Remarques de Vaugelas, qu’en notre langue, « l’élégance consiste principalement à s’éloigner de la construction ordinaire et de la régularité grammaticale. » C’est au gallicisme que songeait l’abbé Tallemant, quand il écrivait, dans ses Remarques et décisions : « On ne peut mieux prouver que cette phrase est bonne qu’en faisant voir qu’elle aurait moins de grâce en la rendant plus grammaticale. » Et Dacier aussi y songeait quand il écrivait, en 1721, dans la préface de ses Vies de Plutarque : « Notre langue est surtout capricieuse en une chose ; c’est qu’elle prend souvent plaisir à s’écarter de la règle, et l’on peut dire que souvent rien n’est plus français que ce qui est irrégulier. » C’est à M. François que j’emprunte ces deux dernières citations.

Mais, précisément, c’est ici, et à cette même époque, aux environs de 1720, que commence à s’échauffer la bile des grammairiens philosophes, et, au fait, dans toutes leurs diatribes contre la tyrannie « capricieuse et désordonnée de l’usage, » ils n’en ont véritablement qu’à ce principe de la subordination de la langue

  1. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1898, l’article sur la Langue de Molière