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néologisme, — l’intérêt du livre de M. A. François est dans ce « dépassement. » En tout cas, tels qu’ils sont, ce sont deux bons livres, deux livres utiles, deux « contributions » importantes à l’histoire générale de la langue française, et deux livres qui, par une heureuse rencontre, se complètent l’un l’autre en se contredisant. « Tandis qu’en effet M. F. Gohin, — dit à ce sujet, et fort bien, M. Alexis François, — s’est appliqué surtout à montrer l’origine et les progrès du mouvement émancipateur de la langue, nous nous sommes attaché à mettre en lumière les efforts de la réaction… Nous pensons que ces deux entreprises sont destinées à se compléter l’une l’autre, en corrigeant l’impression trop exclusive qui pourrait se dégager de chacune d’elles. » C’est ce que nous voudrions essayer de montrer dans les pages qui suivent, et non pas sans doute écrire, mais esquisser, au moyen des précieux renseignemens que ces deux livres contiennent, un chapitre de l’histoire de la langue française qu’ils n’ont certes pas épuisé, mais qu’on ne saurait désormais se proposer d’écrire sans recourir à eux.


I

L’enrichissement, ou, pour mieux dire et ne rien préjuger, l’accroissement du vocabulaire, par quelque procédé que ce soit, — néologisme, archaïsme, « provignement, » comme disaient les théoriciens de la Pléiade, extensions de sens, invention de métaphores nouvelles, emprunts aux langues étrangères et aux vocabulaires techniques, ou à l’argot même des voleurs et des filles, — est-il d’abord une affaire de « transformation de la langue ? » Il faut distinguer, à notre avis ; et le défaut du livre de M. Gohin est de n’avoir pas assez marqué la distinction. Ne parlons, à ce propos, ni du simple barbarisme, ni du néologisme par dérivation ou par composition : les premiers, comme Inextirpable, qu’on trouve, nous dit-on, dans Linguet, ou comme Apocryphité, qu’on trouve dans Volney, ne changent rien au fond d’une langue ; ils n’en sont qu’une maladive excroissance ; et les seconds, tels qu’Individualité ou Intellectualité, Anglomanie ou Bureaucratie, n’en altèrent même pas la physionomie. On les croirait aussi anciens qu’elle ! Mais d’autres cas sont plus douteux. Vers le milieu du XVIIIe siècle, Svelte était, nous dit-on un mot d’atelier, qui ne s’employait qu’entre sculpteurs, et