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un voyage à sparte.

hommes, compact et fort, derrière le prêtre et qui répètent obstinément : « Je suis chrétien, » avec notre accent héréditaire et fraternel. J’entends les mots « espérance, » « amour, » qui flottent dans le tiède soleil. Mais déjà le mince cortège a disparu, déploiement rustique d’une profonde pensée de ma race.

Qu’il arrive vite le temps où des beautés derrière nous sont seules pleines, touchantes, sérieuses ! Si je cédais à ma préférence, je refuserais d’accroître mon modeste patrimoine ; je négligerais les leçons d’Athènes pour m’en tenir à mes vénérations innées, qu’accueille, conforte et prolonge l’église de Daphné.

Abandonner toutes les positions pour resserrer mon cœur sur mes tombes ; m’isoler, vivre en profondeur, quelle volupté ! Je me consumerais dans une musique perpétuelle.

Mais il faut que je m’interdise ou que j’ajourne ce morne bonheur. Mon courage me défend de m’engourdir déjà au son des humbles violons de Lorraine. Je ne mettrai pas au-dessus de tout, comme il me serait si doux, mon émouvant pays de naissance, les côtes viticoles du Madon, du Brenon, notre vent glacial, nos bois de bouleaux et ma claire Moselle, où j’admire chaque saison les reflets de mon enfance. Jusqu’à mon extrême fatigue, mon intelligence voudra chercher et conquérir des terres nouvelles, pour que mes activités profondes s’étendent, s’enrichissent, s’expriment par des formes plus saisissantes. Je le veux, et cependant, au cours de mes études d’Athènes, j’ai laissé mon cœur en dépôt à Daphné.


Maurice Barrès.