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VIII. — J’AI MIS MON CŒUR EN DÉPÔT À DAPHNÉ…


À chaque minute d’Athènes, j’imagine qu’enfin je vais employer mon cœur. Parfois il se soulève, mais l’air est trop marin, les rocailles trop sèches ; dans ces dehors si neufs, mon cœur ne voit rien où il puisse me raccorder ; il retombe, boude, s’attriste et se croit exilé.

— Pourtant, lui dis-je, depuis le paquebot tu battis plus fort, quand nous arrivâmes en vue du petit temple bizarre ?

Il me répond :

— J’étais un naïf cœur gaulois, curieux et respectueux de toutes nouveautés. À l’usage, je n’éprouve pas d’Athènes ces mouvemens, cette effusion qui seuls me persuadent.

C’est vrai qu’ici je ne sens pas sous moi cet Océan profond, ces milliers d’idées préalablement associées qui, dans ma Lorraine, me portent. Sur notre immense plateau solitaire, les peupliers, les vallonnemens légers, les villages peureux et les effluves de l’histoire me composent une musique et me disposent à consentir à mes destins. Mais dans l’Attique, seule peut-être la petite Daphné me touche, modeste église, fraîche sous des platanes et sur une prairie où des visiteurs assis sont en train de goûter.

Quand j’étais un petit garçon, j’allais chaque année, le long de la Moselle, à la Saint-Pierre d’Essegney, pauvre fête de village, où, dans une herbe pareille à la prairie de Daphné, il y avait des chevaux de bois, de la fatigue, un malaise d’estomac, du désir sans objet…

Bien chétives images, mais l’une de mes sources et qui s’harmonisent avec le paisible vallon catholique de Daphné.

C’est ici que Buchon retrouva les tombeaux des ducs français d’Athènes, et que Chateaubriand aperçut pour la première fois la ville de l’intelligence. Voilà des faits où je m’intéresse. Mais peu me chaut si l’on me montre la voie sacrée, que suivait la procession des initiés d’Éleusis : j’ignore trop à quoi ils étaient initiés. Les plus belles Panathénées ne me donnent pas la douceur d’une fête de la Vierge dans nos petites villes lorraines… L’on voit d’abord trois filles de seize ans qui portent une Marie dorée. Les femmes suivent, ayant au cou des rubans violets, puis viennent les bannières de beau goût et la musique municipale alternant avec les cantiques latins. Voici le groupe des