un bouclier. Quand sa lance lui échappa, toute sa perfection et tout son prestige ne servirent de rien : elle subit cette même loi que de son clair regard elle avait reconnue.
Je ne puis faire emploi d’aucune beauté, si je n’ai pas su établir une circulation de mon cœur à son cœur. Les amoureuses de Racine avec toutes leurs syllabes harmonieuses sont incapables d’éveiller nos échos profonds, jusqu’à ce qu’un hasard nous présente réunies, dans une jeune déesse vivante, la beauté, la tendresse et la mesure. Et le docteur Faust, encore, que m’était-il avant que j’approchasse du temps où, trop tard, je me dirai : « Quand j’étais jeune, plutôt que de tant étudier, j’aurais dû jouir de la vie ? » Les plus justes raisonnemens et l’étude la mieux dirigée ne me conduiront jamais jusqu’où me mettrait une soudaine démarche de mon cœur. Comment puis-je utiliser cette fameuse Athènes où je rôde ? Il faudrait qu’en me repliant sur moi-même je trouvasse dans mon âme des réalités morales, des besoins et des émotions, analogues à celles qui s’expriment par ces statues, par ces architectures et par ces paysages grecs. Il faudrait… parlons net, il faudrait que j’eusse le sang de ces Hellènes.
Le sang des vallées rhénanes ne me permet pas de participer à la vie profonde des œuvres qui m’entourent. Je puis avoir quelque révélation. Le grand bas-relief de Déméter, Koré et Triptolème, trouvé à Éleusis, les Amazones d’Épidaure, les Charites de Phidias et la Niké attachant sa sandale, me contraignent à reconnaître une suprématie dont Sophocle et Thucydide m’avaient d’ailleurs prévenu. Ces éclairs m’éblouissent, ils ne me guident pas. Après trois semaines d’Athènes, on se dit : « Il est probable que je suis devant la perfection, mais tout de même, je suis bien mal à l’aise. »
C’était plus commode avec la conception de Winkelmann, dont vécurent les Gœthe et plus près de nous les Gautier, voire les Leconte de Lisle. On opposait la sérénité grecque aux scrupules chrétiens. Cette thèse suffit-elle pour nous rendre intelligible l’art plastique de l’époque fameuse ? Allons donc ! Aujourd’hui nous savons un fait, c’est que nous ne possédons que des morceaux de boutique, des répliques commerciales. Une seule