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un voyage à sparte.

plus en plus, notre inaptitude à saisir ce qu’est la religion se constate par l’impuissance où nous sommes, plus qu’aucun autre peuple en Europe, à résoudre nos difficultés éternelles de cléricalisme et d’anti-cléricalisme. Nos lettrés, à cette heure, ne font plus oraison. Pour ma part, je dois l’avouer, quand Ménard, depuis l’Acropole ou, plus exactement, depuis le Serapeum d’Alexandrie, regarde l’écoulement éternel de la matière divine, il m’inspire du respect plutôt qu’il ne conseille mon activité. J’admire son grand art, jamais appuyé, d’écrivain ; je m’ennoblis en goûtant sa poésie ; sa figure solitaire, un peu bizarre, me repose de tant d’âmes intéressées ou communes ; parfois j’invoque son autorité, puisque aussi bien il a entrevu certaines conséquences de ce culte des morts qui semble se former dans nos grandes villes modernes ; et pourtant, sa pensée de fond, son polythéisme m’ennuie. C’est peut-être Ménard qui m’a conseillé le voyage de Grèce, mais sa voix, si plaisante sous le ciel nuancé de Paris, n’a tout de même pas su m’émouvoir d’une vénération qui donnât leur sens plein, leur vie mystique aux temples quand je foulai le vieux sol pittoresque.


II. — LE DÉPART


La curiosité qui m’oriente vers Athènes m’est venue du dehors plutôt que de mon cœur profond. Si le salon de Leconte de Lisle (les Ménard, les Anatole France, les Henry Houssaye) n’avait pas eu tant de prestige sur mon imagination à vingt ans, irais-je de moi-même chercher dans l’Athènes de Périclès un complément de ma culture ?

Sur le paquebot du Pirée, je songe qu’en peu d’heures, j’aurais pu gagner Barcelone et gravir le Montserrat, ou bien franchir une fois encore le ravin de Tolède et regarder les Greco qui savent toujours, ainsi que les Zurbaran de Séville, me dire des paroles excitantes. C’est avec une sorte de maussaderie et pour remplir un devoir de lettré que je vais me soumettre à la discipline d’Athènes. Saurai-je l’entendre ?

Quand notre bateau doubla Notre-Dame de la Garde, dix religieuses, pressées sur un banc du pont comme des oiseaux sur un bâtonnet, ont prié pour obtenir une traversée favorable. Leur latin de bréviaire éveille en moi une sensibilité catholique pas trop lointaine, mais qu’est-ce que le polythéisme d’Hellas, tel