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Sur le tard, l’auteur des Rêveries eut une grande satisfaction. Le conseil municipal de Paris, soucieux de dédommager un vieil enthousiaste révolutionnaire, créa pour Ménard un cours d’histoire universelle à l’Hôtel de Ville. Louons les gens d’esprit qui firent agréer Ménard par une majorité d’anticléricaux et de socialistes bien incapables de le juger. En réalité, les idées sociales et religieuses du vieil hellénisant ne pouvaient satisfaire aucun parti ; même elles devaient déplaire gravement à tous les élus, de quelque coterie qu’ils fussent, car le programme politique de Ménard, c’est, avant tout, la législation directe et le gouvernement gratuit, qu’il emprunte aux républiques de l’antiquité. Ménard méprisait de tout son cœur notre prétendue démocratie : « Je resterai dans l’opposition, m’écrivait-il un jour, tant que nous ne serons pas revenus à la démagogie de Périclès. » Dans cette attente, et pour mieux protester contre un siècle trop peu athénien, il se tenait dans les partis extrêmes ; mais il repoussait le parti des satisfactions du ventre. Il ne pensait pas qu’on pût se passer d’une règle idéale pour la conduite de la vie. Cela éclate dans ses cours, dédiés à Garibaldi, comme au champion de la démocratie en Europe. Ils sont d’un grand esprit, mais qui mêle à tout des bizarreries. « J’aime beaucoup la Sainte Vierge, m’écrivait-il ; son culte est le dernier reste du polythéisme. » À l’Hôtel de Ville, il justifiait les miracles de Lourdes et, le lendemain, faisait l’éloge de la Commune. Le scandale n’alla pas loin, parce que personne ne venait l’écouter.

En hiver, Ménard professait dans la loge du concierge de l’Hôtel de Ville. À quoi bon chauffer et éclairer une salle ? N’était-il pas là très bien pour causer avec l’ami et unique auditeur qui le rejoignait ?

C’est peut-être chez ce concierge et dans les dernières conversations de Ménard qu’on put le mieux profiter de sa science fécondée par cinquante ans de rêveries. Ce poète philosophe n’avait jamais aimé le polythéisme avec une raison sèche et nue ; mais, à mesure qu’il vieillit, son cœur, comme il arrive souvent, commença de s’épanouir. Il laissa sortir des pensées tendres qui dormaient en lui et qu’un Leconte de Lisle n’a jamais connues.

Il me semble que nous nous augmentons en noblesse si nous rendons justice à toutes les formes du divin et surtout à celles qui proposèrent l’idéal à nos pères et à nos mères. Leconte de