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lui dire tout à coup qu’il faisait plus froid dans sa chambre sans feu que dans l’Antre des Nymphes. »

En sa qualité d’helléniste, Ménard poursuivait le divin sur tous les plans de l’univers : comme peintre dans la nature, comme poète dans son âme, comme citoyen dans la société. Il vécut et travailla avec les peintres de Barbizon, avec Troyon à Toucques, avec Jules Dupré à l’Isle-Adam, avec Rousseau. Pendant dix années, il a exposé une quantité de paysages au Salon. Le public les méconnut, mais Théophile Gautier les aima. J’ai vu l’entassement des toiles de Ménard couvertes de poussière dans sa maison de la Sorbonne. On dit avec justesse que le délicieux peintre-poète René Ménard a hérité et employé les dons de son oncle. Après avoir inspiré les hautes pages d’esthétique qui précèdent la première édition des Poèmes antiques, Louis Ménard publia ses propres poésies (1855), mais en façon de testament. S’était-il découragé devant la maîtrise de son ami ? « Je publie ce volume de vers, qui ne sera suivi d’aucun autre, disait-il, comme on élève un cénotaphe à sa jeunesse. Qu’il éveille l’attention, ou qu’il passe inaperçu, au fond de ma retraite, je ne le saurai pas. Engagé dans les voies de la science, je quitte la poésie pour n’y jamais revenir. » Essentiellement, ce qu’il demandait à l’étude de l’hellénisme, c’était d’accorder ses méditations et son activité, ses rêves d’art, sa turbulence révolutionnaire de jeune Parisien et son incontestable générosité citoyenne.

Au cours de ses longues rêveries dans les bois, sa prédilection pour la Grèce et sa haine de la Constitution de 1852 s’amalgamèrent. Il s’attacha au polythéisme comme à une conception républicaine de l’univers. Pour les sociétés humaines comme pour l’univers, l’ordre doit sortir de l’autonomie des forces et de l’équilibre des lois ; la source du droit se trouve dans les relations normales des êtres et non dans une autorité supérieure : Homère et Hésiode prononcent la condamnation de Napoléon III.

Ménard exposait ces vues à M. Marcelin Berthelot, au cours de longues promenades péripatéticiennes, sous les bois paisibles de Chaville et de Virollay. M. Berthelot et son ami Renan étaient des réguliers. Ils pressèrent Ménard de donner un corps à ses théories ingénieuses sur la poésie grecque, les symboles religieux, les mystères, les oracles, l’art, et de passer son doctorat. Ils auguraient que sa profonde connaissance du grec lui assurerait une belle carrière universitaire.