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dans le sens libéral. Mais on sait comment la loi a été discutée et votée à la Chambre. Le gouvernement n’y a pris que très peu de part, et les efforts quelquefois divergens, quelquefois convergens, de M. Ribot et de M. Briand n’ont pas réussi à en coordonner logiquement toutes les parties. Il serait même facile de relever, dans cette loi, des dispositions évidemment contradictoires. Les règlemens d’administration publique ne feront disparaître ces disparates que si on laisse indirectement et incorrectement le Conseil d’État mettre la main à la pâte législative. Le Sénat aimera-t-il la loi jusque dans ses taches et dans ses verrues, jusque dans ses erreurs de rédaction, jusque dans son incohérence ? La déclarera-t-il intangible ? S’interdira-t-il d’y rien changer, ni un mot, ni une virgule, pour que cette belle œuvre passe à la postérité telle quelle ? Ce serait de sa part une abdication. A quoi sert d’avoir deux Chambres, si l’une renonce à sa part de collaboration indépendante dans l’œuvre commune, et se réduit elle-même à un simple rôle d’enregistrement ? C’est pourtant ce que la commission et son rapporteur, M. Maxime Lecomte, demandent au Sénat de faire. Et pourquoi ? Nous l’avons dit, pour que la loi soit promulguée le 1er janvier. Il paraît que, si elle l’était le 2, toute la vertu en serait évaporée ; tout serait perdu ; le parti républicain aurait manqué à une échéance qu’il s’est fixée solennellement ; ce serait presque une faillite. A nos yeux, tout cela est puéril, et, pour l’honneur du parti républicain, il vaudrait mieux une loi bien faite quelques jours plus tard, qu’une loi mal faite quelques jours plus tôt.

Tels sont les auspices sous lesquels la session s’ouvre, session de liquidation et, en quelque sorte, de fin de bail. Dès le mois de janvier, s’ouvrira l’ère électorale. L’élection du Président de la République dépend des Chambres, mais celle des Chambres elles-mêmes dépend du pays. A lui de se prononcer. S’il est satisfait de la politique qu’on nous a faite depuis quelques années, il le dira. Le malheur, faut-il l’avouer ? est que cette politique n’a pas encore produit toutes ses conséquences, et c’est seulement lorsqu’une politique en est là que le pays est à même de la juger. Le malheur, aussi, est qu’il est alors un peu tard pour le faire.


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.