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couvre de quartiers neufs, chaque année, les champs où l’herbe poussait l’année précédente.

Le cœur de la cité nous reporte aux XVe et XVIe siècles. La haute statue peinte d’un Roland, gardien des libertés républicaines, se dresse en face du Rathaus. Ce gothique hôtel de ville abrite sous son large pignon des chevaliers de pierre dans leur harnais de bataille. À l’intérieur, des modèles de navires et des portraits de sénateurs ornent une grande salle de belles proportions. Une guirlande de figurines, sculptée sur l’escalier tournant qui monte à la tribune, est peut-être le plus délicat joyau de la Renaissance que j’aie rencontré dans l’Allemagne du Nord. À l’autre extrémité de la grand’salle, un tableau moderne : le régiment de Brème à la bataille de Loigny. Nul embarras pour le visiteur français devant cette toile ; de la fierté : Sonis et Charette sont bons à saluer partout, même chez leurs vainqueurs. Quelques autres maisons du vieux style allemand subsistent dans le voisinage de la place ; le Kensington voulut naguère acquérir la plus remarquable, l’Altbremerhaus : les Brémois se hâtèrent de la racheter. Ils en ont fait un musée-restaurant, très apprécié des gourmets. On y dîne dans les petites chambres de 1618, meublées d’objets rares et anciens ; cabinets particuliers qui doivent toujours communiquer à la salle principale par une porte ouverte : ainsi l’ordonnent, à Brème et à Hambourg, les règlemens de ces vertueuses républiques.

Autour du noyau central où l’on conserve pieusement les reliques de la vieille Hanse, la nouvelle ville érige ses édifices fastueux, bourses, maisons de commerce, hôtels, entrepôts monumentaux. Bornée au nord-ouest par le port franc, elle est enveloppée sur tout le reste de son pourtour par les longs cordons concentriques d’une troisième cité : avenues et boulevards où s’alignent entre des jardins les demeures des riches négocians. Ils sont légion, si j’en juge par la multiplicité des maisons toutes neuves entre lesquelles on me fait rouler pendant une heure. Mon guide me dit : « Ah ! une rue nouvelle ! Je ne la connaissais pas, je n’étais pas venu de ce côté depuis l’an dernier. » — Louons ces Brémois de n’avoir pas sacrifié ici au goût du colossal qui sévit dans les autres villes d’Allemagne. Ils se contentent d’agréables cottages, littéralement habillés de manteaux de fleurs. Architecture et végétation se ressentent du