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ils en ont une quelconque, et dont ils n’éprouvent que très faiblement le besoin, si même ils le sentent un tant soit peu. Qu’ils aient été un instrument aveugle et docile entre des mains qui se dissimulent, on n’en saurait douter ; mais, certes, l’instrument a une puissance redoutable, et il risque de devenir également malfaisant pour ceux qui en usent et pour ceux contre lesquels il est tourné. Quels sont ces derniers ? Ce n’est pas seulement le gouvernement, c’est tout le monde, et là sont à la fois la force et la faiblesse de cette agitation évidemment ordonnée dans son principe, mais qui reste anarchique dans ce qu’on peut appeler son incidence : elle frappe, en effet, indistinctement tous les citoyens, suspend chez eux la première des libertés, qui est celle de se mouvoir, les menace de la famine, et apparaît à brève échéance comme un cataclysme dans une société où les progrès de la civilisation ont créé des besoins si compliqués, si nombreux, si impérieux. N’y aura-t-il pas une révolte générale contre une révolution qui emploie de pareilles armes, et si, dans quelques jours, le gouvernement opère à son tour par une répression vigoureuse, n’aura-t-il pas l’opinion avec lui ?

Mais une répression n’est pas une solution. Les doutes qu’on avait pu conserver sur la profondeur et sur l’étendue du mouvement se dissipent de plus en plus. A supposer même que l’esprit révolutionnaire se concentre chez un petit nombre de personnes, ces personnes viennent de montrer qu’elles ont des moyens d’action qui portent loin, et c’est une constatation dont il faut tenir compte. On le fait, sans doute ; mais, comme toujours, on le fait trop tard et par des procédés qui révèlent plus de trouble moral que de volonté réfléchie et de sang-froid. Tous les points d’arrêt où la révolution a paru se reposer ont été des répits donnés au gouvernement. En a-t-il profité ? Il serait injuste de dire qu’il ne l’a pas fait du tout, mais il l’a fait insuffisamment. L’initiative impériale s’est exercée en matière constitutionnelle avec une sincérité incontestable, mais avec une efficacité douteuse, puisqu’elle ne doit se produire que dans l’avenir. Il est dangereux de montrer à un peuple une constitution, ou même un semblant de constitution, et de ne pas le lui donner tout de suite. La réalisation immédiate aurait eu du moins l’avantage de l’occuper, tandis que la simple promesse pour un avenir qui reste pour lui indistinct, sinon improbable, l’amène à une étude spéculative où il aperçoit plus volontiers les défauts que les qualités de la constitution qu’on a fait miroiter à ses yeux. On lui a dit qu’elle entrerait en vigueur au commencement de l’année prochaine : son impatience