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C’est l’intime douleur de ce soldat de race
De sentir que toujours de plus en plus s’efface
Et pâlit l’héroïque espoir de ses vingt ans.
Oh ! longtemps il a pris patience ; longtemps
Il s’est dit :

« La blessure est-elle bien fermée ?
« Travaillons ! Il nous faut une invincible armée,
« Et nous crierons alors vers l’Est : Quand vous voudrez ! »

Que d’excellens soldats il nous a préparés,
Ce bon Français, dans la « réserve » et dans l’ « active ! »
Combien de fois il s’est redit — âme naïve —
Le mot si décevant sur l’Alsace et sur Metz :
« Pensons-y tous les jours et n’en parlons jamais ! »
Mais, un jour, il comprit qu’à force de silence,
Le pays oubliait l’atroce violence
Et la frontière ouverte, ainsi qu’un amputé
S’accoutume à la longue à son infirmité,
Et qu’ainsi la revanche était plus qu’incertaine.
Oui, c’est là le constant chagrin du capitaine.
Que sa triste carrière ainsi doive finir,
Qu’il reste un officier pauvre et sans avenir,
Il s’y résigne. On peut tout aussi bien combattre
Pour sa patrie avec trois galons qu’avec quatre.
Non, aujourd’hui, ce qui le navre, c’est qu’il sent
Que son pauvre pays vers l’abîme descend,
Grisé d’un idéal pour la race future,
Que démentent, hélas ! l’histoire et la nature.
Il sait que, sous les mots de paix, d’humanité,
La chimère souvent masque la lâcheté.
Longæ mala pacis, a dit le vieux Tacite.
On devient veule et mou. Le plaisir seul excite.
Il faut jouir par tous les pores de la peau.
La vie est bonne. On craint la mort, et le drapeau,
Muet témoin blâmant l’égoïsme et ses vices,
Semble un faux dieu qui veut de sanglans sacrifices.

L’armée existe encore, oui, celle qu’on rêvait
Victorieuse, aux bords du Rhin. Qu’en a-t-on fait ?