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Aux « oui » du plébiscite, et l’Empire s’effondre.
« A Berlin ! A Berlin ! » criait-on tous les soirs,
Mais, soudain, l’innombrable armée aux casques noirs
Bat les murs de Strasbourg, couvre toute l’Alsace.
A Wœrth, grâce aux canons chargés par la culasse,
Les Prussiens ont fauché cuirassiers et turcos ;
Et Paris croit entendre, en de lointains échos,
Tout en accumulant poudre, armes, blés et viandes,
Le bruit lourd et rythmé des bottes allemandes.

Le général Morel campe sous Metz, et là,
L’ancien spahi, le beau sabreur de la Smala,
Devant ses escadrons est stupéfait et sombre ?
Quoi ? Les Français seraient écrasés sous le nombre !
Jamais ! Ses cavaliers vaincront, dix contre cent.
« Chargez ! » Mais un obus éventre son pur sang
Et lui-même est criblé d’éclats, à Gravelotte.
A l’ambulance, dans la ville où déjà flotte
L’odeur de trahison, Morel hors de combat,
Pendant tout le blocus, se tord sur un grabat,
Furieux, maudissant la fièvre et la tisane ;
Et quand, bien fait le en cor, mais rejetant sa canne,
Il réclame son sabre et son cheval sellé,
— O honte ! ô désespoir ! — Metz a capitulé.
Quels jours affreux ! Dans les wagons où l’on entasse
Les tristes prisonniers de guerre, il prend sa place,
Les yeux mornes, le front baissé, n’en pouvant plus ;
Et quand le train s’ébranle, il voit, sur le talus
Où les ont enfoncés les vainqueurs pleins de haine,
Nos aigles, nos drapeaux que leur livra Bazaine.
Oui, nos drapeaux plantés dans la boue !

Oh ! cela,
Pour le fils d’un vainqueur d’Arcole et d’Iéna,
C’est la pire, la plus atroce des tortures.
Il pousse un cri d’horreur qui rouvre ses blessures.
Moribond, il arrive à Dantzig, et là-bas,
Voilà qu’il pense au fils qu’il ne reverra pas,
Au fils qu’il a laissé dans Paris, au collège,
Et qui, dans bien des jours, quand finira le siège,