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Les espions chinois, si nombreux, si bien entraînés, ne suffisaient pas encore. Les Chinois sont toujours des Chinois, peu versés dans les choses de la guerre, susceptibles de se tromper dans les observations. Quand il s’agissait d’une enquête difficile, des Japonais venaient la faire eux-mêmes, déguisés en Chinois. Le Japonais se déguise si vite en Chinois : c’est la constatation matérielle de leur parenté, de leur cousinage, ainsi que le secret de leur sympathie. Il se met une queue postiche. Certains Nippons s’étaient même, depuis des années, laissé pousser une queue, en prévision des services qu’elle leur rendrait pendant la guerre. Le fait est prouvé par des témoignages nombreux. Tant qu’Inkéou fut occupé par les Russes, c’étaient par là que les espions japonais pénétraient en Mandchourie. A Shan-Haï-Kouan, distant d’un jour de chemin de fer d’Inkéou, se trouvent des officiers japonais et des troupes japonaises, un détachement du corps international d’occupation. Voilà la volière d’où partaient les pigeons voyageurs. D’Inkéou, par les nombreuses jonques remontant le Liao-Ho, par la route mandarine, à travers champs, les espions se répandaient dans le pays, gagnaient le poste d’observation qu’on leur avait assigné. Des courriers sûrs apportaient à Shan-Haï-Kouan leurs lettres. La police russe d’Inkéou saisit plusieurs fois ces lettres. L’une d’elles, qu’on m’a traduite, contenait ceci : « Aujourd’hui (la date) au garage de… nord de Liao-yang, sont passés, venant de Moukden, tant de trains, comprenant tant de wagons, amenant de l’infanterie. Les soldats avaient sur leurs épaulettes ces signes » (ici le Japonais, ne connaissant pas les lettres russes, avait très minutieusement des sine les initiales et le numéro du régiment).

Le Russe, grand remueur de terre, creusait partout des fossés et des trous, qu’il défendait, d’ailleurs, très énergiquement, quand on lui commandait de les défendre. Le Japonais s’arrangeait toujours pour connaître, quelques jours avant la bataille, la disposition exacte et la force de ces tranchées. Les officiers se déguisaient en coolies, ne dédaignaient pas de revêtir des défroques sordides, d’aller pieds nus par la boue des chemins et des champs. Besogne répugnante et terriblement dangereuse ! Car les Russes devenus méfians n’étaient pas particulièrement tendres pour les Célestes ou pseudo-Célestes qui s’approchaient de leurs positions. Le sentiment qu’ils avaient d’être espionnés sans cesse et malgré tout, finissait par les exaspérer. J’ai vu administrer de terribles